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Après la conférence de presse donnée par la FED mercredi dernier, la décision a été prise… de ne rien décider pour l’instant, renvoyant aux calendes grecques (et surtout après les élections présidentielles américaines) toute éventuelle remontée des taux directeurs. Toutefois, pouvait-il en être autrement ? Ne sommes-nous pas déjà allés trop loin dans le fameux « no-limit » prôné par Mario Draghi et ses confrères banquiers centraux ? Les banques centrales elles-même ne se sont-elles pas laissées prendre à leur propre piège ?

Une révolution de l’économie

Dans les années 70, le gros problème des économies du monde libre, c’était l’inflation. Dans les autres pays aussi, c’est vrai, mais comme on ne savait pas grand chose de ce qui se passait au-delà du Rideau de Fer, c’était quand même plus facile de ne pas en tenir compte. Quoi qu’il en soit, en Europe comme aux États-Unis, il n’était pas rare d’avoir des niveaux d’inflation annuelle à deux chiffres dont la simple évocation suffit aujourd’hui à nous faire frémir. Et pourtant on y a survécu. Dans ce contexte, les banques centrales ont vu leur rôle évoluer et leurs pouvoirs se renforcer afin justement de lutter contre cette inflation. Et force est de constater qu’elles se sont montrées plutôt efficaces.

Parallèlement, en moins de deux décennies, le bloc communiste s’est effondré, les économies se sont mondialisées et les technologies se sont développées à une vitesse telle que notre quotidien social, économique et financier n’a aujourd’hui plus rien à voir avec celui d’il y a à peine 30 ans. En France, même nos souvenirs des années 90 nous paraissent tirés d’un livre d’histoire ancienne, tant la construction européenne et la mise en place de la zone euro ont littéralement bouleversé nos habitudes de vie.

L’une des conséquences de cette formidable évolution (que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de Révolution) réside dans la généralisation des marchés qui ont fini par s’harmoniser autour du moins-disant de chaque secteur à l’échelle de la planète. Le raccourci est peut-être un peu brutal, mais la réalité n’est pas si éloignée. Au final, avec des coûts de production sans cesse tirés vers le bas, et des politiques sociales visant néanmoins à préserver une certaine croissance des revenus, l’inflation a mécaniquement fondu comme neige au soleil. Et, aujourd’hui, on en est arrivés à chercher par tous les moyens à PROVOQUER l’inflation, dans une limite de 2%, afin de relancer les économies par la croissance.

Sauf que…

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L’inadéquation des indicateurs historiques

Sauf que plus personne n’est désormais convaincu que l’inflation va résoudre le problème. Plus personne n’est même prêt à confirmer officiellement que cette fameuse valeur de 2%, parfaitement cohérente dans les années 70-80, a toujours un sens aujourd’hui. Enfin, chaque jour apporte de nouveaux démentis concrets aux théories économiques en vigueur depuis parfois plusieurs siècles et qu’on croyait gravées dans le marbre. En clair, on ne sait plus trop où on va, et les banques centrales qui sont censées ouvrir la route en sont réduites à tâtonner dans le noir sans savoir si elles sont sur la bonne voie, ou même s’il n’y a pas un gouffre qui les attend au pas suivant.

À ce titre, la mise en place de taux d’intérêt négatifs constitue un parfait exemple de la totale improvisation dans laquelle elles se trouvent, testant de nouvelles approches qu’on aurait cru réservées au domaine de la pure spéculation et se contentant de régler les problèmes à mesure qu’ils se présentent, sans se soucier des conséquences à plus long terme.

Une situation économique ambigüe

Et c’est justement à ces conséquences, ou en tout cas à leur éventualité, que la FED est désormais confrontée. En effet, si la baisse historique des taux d’intérêt a constitué une aubaine pour un grand nombre d’acteurs économiques et institutionnels, facilitant (même de façon artificielle) la reprise de la croissance après la crise des subprimes notamment, il aurait été judicieux de ne pas laisser la situation s’éterniser, évitant ainsi à l’économie américaine (mais aussi japonaise, européenne, etc.) de s’enfoncer trop durablement dans les territoire du rendement négatif. En fait, si Janet Yellen n’a pas annoncé de remontée des taux d’intérêt, c’est peut-être aussi parce qu’elle ne peut plus le faire.

Certes, les inscriptions au chômage continuent de baisser aux États-Unis (ce qu’on traduit peut-être un peu trop rapidement comme des créations nettes d’emploi). Certes l’économie américaine semble avoir renoué durablement avec la croissance, même si c’est à grands coups d’endettement massif qui risque d’entraîner quelques explosions de bulles spéculatives à plus ou moins brève échéance (subprimes automobiles, emprunts étudiants, immobilier commercial, investissement dans la production d’énergie par fracturation hydraulique, etc.) Certes, le salaire médian a augmenté en 2015, pour la première fois depuis la crise de 2008 (ce qui est davantage dû à l’augmentation des hauts salaires qu’à celle des revenus modestes). Et tous ces indicateurs semblent donner le feu vert à Janet Yellen pour faire remonter les taux directeurs de la FED depuis au moins 6 mois.

Sauf que…

Les marchés ont besoin d’une remontée des taux… qu’ils ne supporteront pas

Sauf que, dans le même temps, les banques et les assurances se sont engouffrées avec un appétit féroce dans le piège de l’argent gratuit, prêtant à leur tour à taux zéro ou presque. En les obligeant désormais à acheter de l’argent plus cher qu’ils ne le prêtent eux-mêmes, une remontée des taux signerait purement et simplement l’arrêt de mort d’une bonne partie de ces acteurs. De la même façon, Wall Street (et toutes les autres bourses du monde à sa suite) vivrait un véritable cataclysme sous la pression de millions d’investisseurs cherchant à revendre leur positions devenues déficitaires. Enfin, une remontée des taux constituerait une charge supplémentaire pour les États déjà surendettés, et la FED comme les autres banques centrales seraient contraintes d’accroître massivement leur politique de création monétaire pour éviter tout simplement les faillites d’États… contribuant du même coup au risque grandissant de dépréciation des devises. Bref, le serpent se mord la queue.

En clair, que ce soit aujourd’hui ou en décembre prochain, la FED ne peut plus remonter ses taux directeurs sans risquer une crise financière majeure, mais elle ne peut pas non plus les laisser aussi bas car, en cas de crise justement, elle n’aura plus aucune marge de manœuvre pour réduire ces même taux en vue de soutenir l’économie.

Trop loin, trop longtemps, les banques centrales ont abusé d’une situation qui aurait dû, au mieux, n’être que fugitive. Aujourd’hui, elles sont prises à leur propre jeu et le piège se referme. Sur elles, mais aussi sur nous. La débancarisation, même partielle (dans l’or d’investissement par exemple) n’est plus un simple modèle de gestion raisonné de son épargne ; cela devient de plus en plus une stratégie de sécurisation patrimoniale contre des troubles à venir qui s’annoncent de moins en moins hypothétiques.

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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