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On savait que le gouvernement avait le chéquier facile en cette période de tensions sociales qui précèdent les premières campagnes en vue des élection de 2017, mais la ministre de l’Éducation nationale semble avoir décroché la palme de la mesure la plus surréaliste en proposant ni plus ni moins d’accorder une nouvelle prime aux lycéens décrocheurs pour les inciter à retrouver le chemin de l’école.

On ne trouve pas facilement la trace de cette annonce sur le site du ministère de l’Éducation nationale, mais Najat Vallaud Belkacem a bel et bien annoncé la possibilité pour les élèves de 16 à 18 ans qui auraient décroché des études, de recevoir une prime de 1000 euros s’ils acceptaient de bien vouloir retourner à l’école.  Concrètement, pour en bénéficier, les jeunes pourront demander cette prime à partir de la rentrée 2016 à condition qu’ils reprennent leurs études après une interruption de scolarité d’au moins cinq mois et qu’ils soient par ailleurs éligibles à l’attribution d’une bourse nationale de lycée au moment de leur reprise d’études. Quant à la somme de 1000 euros, le site du ministère précise bien qu’il s’agit… d’un minimum.

Une mesure dangereuse et injuste

On comprend l’intérêt de la ministre qui a fait de la lutte contre le décrochage scolaire l’un de ses chevaux de bataille. Mais payer les élèves pour qu’il reprennent le chemin du lycée a de quoi faire frémir n’importe quel pédagogue. Certes la gauche française n’a jamais été très friande de toute forme d’autorité parentale ou institutionnelle, mais d’aucuns craignent que cette nouvelle mesure contribue, non seulement, à déresponsabiliser davantage les parents d’élèves décrocheurs, mais alimente de surcroît une « dangereuse inversion des valeurs« .

En effet, comment ne pas y voir une sorte de prime à la contre-performance, véritable encouragement à l’insoumission, où l’on récompenserait finalement ceux qui décideraient de sécher les cours sous prétexte de problèmes sociaux, tandis que d’un autre côté, les élèves issus des mêmes milieux socio-économiques, mais qui feraient l’effort de continuer à se rendre au lycée avec assiduité… n’y gagneraient rien de particulier. N’y a-t-il donc personne qui ait envisagé que l’absentéisme puisse dès lors devenir une véritable aubaine lucrative pour certains jeunes en difficultés ? Se peut-il qu’on n’ait pas imaginé que certains parents eux-mêmes, pris à la gorge par des contraintes financières insurmontables, puissent en arriver à conseiller à leurs enfants de décrocher momentanément ? Histoire de récupérer un petit billet à la rentrée suivante…

On ne saurait acheter l’éducation

Il y a quelques mois, un spécialiste de la philosophie politique du nom de Michael J. Sandel publiait un livre intitulé Ce que l’argent ne saurait acheter, et il revenait sur un certain nombre de travers que notre société ultra-matérialistes avait instillée dans nos valeurs comme dans nos perceptions. Il insistait d’ailleurs sur le fait qu’aujourd’hui, le marché l’a emporté sur la morale et que tout, y compris la bonne volonté, est désormais à vendre. Mais son livre a pour autre particularité de reprendre le titre d’un ouvrage plus ancien, datant de 1997, écrit par Susan Mayer, sociologue à l’Université de Chicago, qui explique que l’argent n’achète pas l’éducation.

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Certes, il est vrai que dans certains pays du monde où il n’y a ni couverture sociale ni revenu minimum ni programme d’aide de l’État, augmenter les revenus des familles les plus pauvres permet a ces dernières de ne plus devoir arbitrer entre la scolarité de leurs enfants… et leur survie (alimentation, accès aux soins, habillement, etc.) Mais dans des pays comme les États-Unis ou la France, dans lesquels la plupart des familles pauvres ont la possibilité de subvenir à leurs principaux besoins fondamentaux à travers des prestations sociales publiques et privées, augmenter, voire doubler le revenu de parents pauvres n’aurait que peu d’effets sur les trajectoires de leurs enfants. En effet, selon ses observations, Susan Mayer explique que quand on accroît les revenus des familles défavorisées, elles dépensent en priorité ces ressources supplémentaires en nourriture, en aménagement du logement, en vêtements, voire en amélioration de leur « parc automobile », que ce soit en quantité ou en qualité, mais ne changent pas grand chose quant à la manière dont leurs enfants sont scolarisés. D’ailleurs, elle l’explique que dans les pays occidentaux, « la plupart des biens qui bénéficient fortement aux enfants« , comme les livres, les sorties au musée ou encore les fournitures scolaires de base,  » sont d’un coût si peu élevé que leur consommation dépend plus des goûts et des dispositions que des revenus« .

Au final, si on donne plus d’argent aux familles modeste françaises, par exemple, leurs enfants seront peut-être mieux logés et mieux nourris, mais pas nécessairement mieux éduqués ni mieux préparés à des emplois stables et convenablement rémunérés. Pourtant, de son côté, Najat Vallaud-Belkacem reste persuadée qu’en promettant un minimum de 1000 euros à tous les jeunes de 16 à 18 ans ayant abandonné leurs études, elle les incitera à s’impliquer durablement dans leur scolarité et, surtout, leur donnera les moyens de préparer leur avenir professionnel. Gageons qu’elle leur donnera surtout l’occasion d’apprendre à compter dès leur plus jeune âge… sur l’État-providence.

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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