Publicité

Si vous êtes là aujourd’hui, devant votre écran, à lire cet article, c’est très probablement parce que la grande majorité de vos ancêtres ont su se tenir éloignés du risque, et ce depuis l’époque où quelques singes mal dégrossis découvraient qu’il leur était plus facile de voir arriver les tigres à dents de sabre en se tenant debout sur leurs deux pattes arrière.

Depuis, même si les tigres à dents de sabre ont disparu, l’homme n’a cessé de fuir le risque, persuadé que sa vie en dépendait à chaque fois. Et aujourd’hui, quelles que soient les évolutions que nos sociétés ont pu connaître, en dépit de toutes les technologies développées pour nous faciliter la vie, pour nous la rendre presque sans risque par rapport à ce que connaissaient nos lointains aïeux, nous continuons à sur-réagir émotionnellement à la moindre situation dont l’issue positive n’est pas garantie.

À notre décharge, les systèmes dans lesquels nous évoluons au quotidien, à commencer par notre système éducatif, contribuent à nous maintenir dans cette peur constante du lendemain. « Si tu ne travailles pas à l’école, tu n’auras pas de diplômes ; et sans diplômes, tu n’auras pas de travail ; et sans travail tu n’auras tout simplement pas de vie ! » Résultat, conditionnés et prisonniers d’un doute existentiel permanent, nous passons régulièrement à côté d’opportunités qui auraient pu nous enrichir (à tous points de vue, pas seulement au niveau financier), si seulement nous avions consenti à prendre quelques risques.

Et pourtant ! On pourrait trouver des dizaines d’exemples pour lesquels c’est davantage l’appréhension du risque plutôt que le risque réel lui-même qui nous empêche d’avancer. Pire encore, d’autres exemples illustrent au contraire à quel point nous sommes capables d’occulter le risque véritable juste parce que l’illusion est plus douce que la triste réalité. Prenons ainsi le cas d’un individu au chômage qui se voit tout-à-coup offrir deux emplois au même moment : d’un côté, un poste temporaire mais passionnant et bien rémunéré ; de l’autre, un emploi stable, en CDI, sans relief et payé au minimum syndical. Que croyez-vous que notre demandeur d’emploi va choisir ? Neuf fois sur dix, le CDI. Tout simplement parce que le risque est trop grand de se retrouver au chômage après une simple mission, et qu’il a peur de ne pas pouvoir assumer ses obligations à moyen terme.

Autre exemple : décidément en veine, notre cobaye imaginaire rencontre son banquier qui lui propose alors deux placements. Le premier est totalement garanti mais peu rémunérateur (la garantie a un prix et c’est le client qui le paie à son banquier pour que ce dernier puisse prendre des risques avec SON argent). Le second placement, en revanche, peut lui faire gagner beaucoup d’argent… mais aussi lui faire perdre son capital de départ, disons une fois sur cinq. Évidemment, notre homme tout juste sorti du chômage va préférer le placement le plus sûr, quitte à ne rien gagner du tout. Car ce qu’il veut éviter à tout prix, c’est surtout de perdre quoi que ce soit.

Publicité

Mais avec 80% de chance de gagner gros, le risque est-il aussi insurmontable ? Existe-t-il seulement ailleurs que dans son imagination ? Notre cobaye imaginaire serait-il devenu devin ? A-t-il développé l’incroyable faculté de lire l’avenir ? Si oui, il ferait mieux de contacter au plus vite une entreprise de trading peu scrupuleuse qui sera disposée à payer grassement ses services, ou bien un gouvernement qui saura adapter sa politique aux évènements futurs. Il pourrait aussi tout simplement acheter un billet de loto et cocher les bonnes cases.

Vous souriez peut-être, mais vous ne devriez pas. Parce que s’il est vrai qu’un tel individu prescient n’existe pas dans la réalité (sinon, il empocherait la super cagnotte quasiment chaque semaine), on trouve en revanche des millions de Français prêts à dépenser de l’argent plusieurs dizaines de fois par an dans des jeux de hasard, en dépit du risque tout à fait réel, lui, et particulièrement élevé (supérieur à 90%) de perdre l’intégralité de leurs mises à chaque fois. Oui, oui, à chaque fois . Car, cerise sur la tête du tigre à dents de sabre, l’expérience ne les instruit pas le moins du monde. Au contraire, certains arrivent même à se persuader qu’à force de perdre, ils finiront fatalement par gagner.

Au total, près d’un adulte sur deux participe aux jeux de hasard en France, pour une mise moyenne de 2000 euros par an et par joueur. Sachant qu’ils ont une chance sur 20 millions de gagner le gros lot et qu’ils courent le risque de ne même pas récupérer leur mise dans 93 cas sur 100, combien parmi eux seraient prêt à dépenser la même somme pour un placement considéré comme ultra-risqué, c’est-à-dire où ils auraient par exemple une chance sur deux de tout perdre ? La réponse est aussi évidente qu’irrationnelle et pourtant, elle est directement liée à notre évolution. Bien peu sauront analyser logiquement la situation, et l’immense majorité préfèrera continuer de miser sur la possibilité infime de gagner beaucoup en occultant totalement le risque considérablement élevé de tout perdre. Ici, c’est la disproportion entre le gain espéré et la mise qui fausse le jugement, ou tout au moins qui déplace le risque : les gens ont alors beaucoup plus peur de passer à côté de plusieurs millions que de perdre 30 ou 40 euros chaque semaine.

Finalement, nous sommes surtout sensibles au risque de provoquer la disparition de notre vision idéale de l’avenir, une vision réconfortante qui nous pousse souvent à faire « le bon choix compte tenu de la situation »… au lieu de tenter la meilleure option possible, quitte à ce qu’elle soit aussi la plus « dangereuse ». C’est ce qui fait la différence entre les gens qui réussissent leur vie et ceux qui se contentent de la gagner. Entre ceux qui démissionnent pour créer une entreprise dans laquelle ils s’épanouiront et ceux qui ne peuvent renoncer à la sécurité d’un emploi salarié. Entre ceux qui agissent en prenant des risques calculés et ceux qui passent leur temps à calculer les risques sans jamais agir. En fait, seuls quelques individus qui auront su s’affranchir de ce travers « darwinien » pourront estimer les aléas à leur juste niveau et éventuellement devenir plus riches après avoir accepté le risque de ne pas gagner à tous les coups. Pour tous les autres, il restera au mieux la sécurité d’une situation modeste et rassurante.

Le darwinisme nous condamne à rester pauvres.

Article précédentFace à la crise, la Banque Nationale de Hongrie achète des armes
Article suivantOptimisation fiscale et financement du terrorisme, même combat ?
Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Veuillez entrer votre commentaire !
Veuillez entrer votre nom ici