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Le jeudi 14 mars 1968, dans le courant de la matinée, un éminent homme d’affaires européen, résidant habituellement en Suisse, prenait son petit déjeuner dans la salle à manger d’un hôtel situé dans le West End de Londres. Tout en mangeant, il parcourait des yeux les titres des principaux articles de la presse matinale :  » La ruée sur l’or se poursuit…  » annonçait le Financial Times,  » Le prix de l’or atteint son point culminant « , proclamait le Times. Bouleversé par ces nouvelles, le magnat, dont les intérêts étaient liés au commerce international, saisit un téléphone et consulta plusieurs experts du change étranger demeurant dans la banlieue de Londres. Puis il sauta dans un taxi et se dirigea vers les bureaux d’un négociant de matières d’or installé près de la Banque d’Angleterre. Là il acheta aussitôt pour 250 000 dollars d’or. C’était la première fois qu’il donnait un ordre semblable car il était spécialisé dans le marché du cuivre, de l’étain et du caoutchouc. Mais ce fameux jeudi devait être une date unique dans la longue et tumultueuse histoire de l’or à travers les âges. Pendant ces mémorables vingt-quatre heures, en effet, il se vendit et s’acheta plus d’or dans le monde qu’en aucune autre journée depuis que le roi Crésus, en Lydie, eut émis la première monnaie d’or connue, en 550 avant J.-C.; et pendant toute la semaine suivante, le marché de l’or vit passer plus d’or que n’en avaient extrait les mines pendant toute la fameuse ruée vers l’or du Klondike.

Tandis que notre homme d’affaires achetait à Londres, de nombreux spéculateurs, les uns avec 1 000 dollars en poche, les autres avec 1 million de dollars dans leur porte-feuille, se joignaient à la foule des acheteurs pris de panique qui, à travers le monde, s’efforçaient d’acquérir de l’or. A Paris, la police cernait la Bourse, s’efforçant de maintenir un peu de calme dans la cohue hystérique des négociants d’or et des acheteurs avides, qui réclamaient de solides lingots d’or à des prix dépassant de 20 pour cent le cours normal.

Un ancien commis de change affirma n’avoir jamais assisté à un pareil spectacle au cours de sa longue carrière. A Washington, les fonctionnaires du Trésor et de la Federal Reserve Bank de New York, harassés, essayaient de se maintenir éveillés en absorbant force cafés aux premières heures de la matinée (New York en effet est en avance de cinq heures sur Londres). Ils se cramponnaient aux lignes téléphoniques encore libres à la Banque d’Angleterre pour glaner les dernières informations relatives aux demandes d’or. Le directeur du Federal Reserve Board, M. William McChesney Martin, avait fait serment cette semaine-là que les Etats-Unis défendraient le prix fixé de 35 dollars l’once  » jusqu’au dernier lingot « . Ce matin-là, il semblait que les spéculateurs le contraindraient à atteindre cette ultime limite.

Pour discerner les causes profondes de cette ruée sur l’or, il faudrait remonter plusieurs années en arrière, mais certains événements qui précipitèrent la crise de mars 1968 sont connus. Il y eut d’abord la dévaluation du sterling en novembre 1967, l’offensive du Tet en janvier 1968, ensuite la remise d’un rapport du général Westmoreland réclamant 200 000 hommes de renfort pour le Vietnam dans le courant de mars. D’autres raisons pourraient être invoquées, mais les trois facteurs principaux que nous venons de rappeler ébranlèrent les nerfs des peuples déjà inquiets de la situation générale.

Timothy Green, auteur du livre « Le monde l’or »

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Jean-François Faure
Jean-François Faure. Président d’AuCOFFRE.com. Voir la biographie.

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