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Récemment, l’Assemblée nationale a rendue publique la répartition de la réserve parlementaire pour 2015. Curieux, j’ai cherché à savoir ce que mon député avait fait de sa dotation. Et là, j’ai découvert que lui comme beaucoup d’autres avaient distribué généreusement cette manne issue de nos impôts en dehors de nos frontières, un peu comme s’il n’y avait pas assez de causes nationales à soutenir.

Attention, je ne voudrais pas qu’on me fasse un procès en nationalisme forcené, ni qu’on m’accuse de faire le jeu de ceux qui prônent un retour au protectionnisme (voire au patriotisme économique si cher à Arnaud Montebourg à l’époque du ministère du Redressement productif), élan ô combien désuet dans une économie mondialisée. Mais je reste tout de même convaincu que nos élus à l’Assemblée nationale doivent avant tout servir les intérêts de leurs administrés, à partir du moment où ces derniers financent leur générosité. Je ne suis pas non plus opposé à une coopération internationale ni à une politique étrangère visant à aider nos frères humains moins bien lotis dans certaines régions du monde. Mais je m’étonne de la propension de certains députés à soutenir des causes venues d’ailleurs alors qu’ils ne daignent parfois même pas y jeter un coup d’œil quand la demande vient de leur propre circonscription.

Faisons un point rapide de la situation. Pour ceux qui ne le sauraient pas, la réserve parlementaire est une somme allouée tous les ans à chaque député et à chaque sénateur afin qu’ils la redistribuent à leur guise à l’attention des causes et des projets qui leur tiennent à cœur. Évidemment, cette disposition est régulièrement critiquée en raison du risque de clientélisme qu’elle pourrait faire suspecter, et certains esprits chagrins sont même allés jusqu’à supposer que des élus auraient pu utiliser ces fonds à des fins, sinon personnelles, tout au moins de manipulation et d’influence occulte. D’ailleurs, jusqu’en 2012, le montant de ces enveloppes était gardé confidentiel, ce qui n’a pas aidé à calmer les plus suspicieux. Aujourd’hui on sait précisément à combien s’élève cette réserve parlementaire et, ainsi, en 2015, chaque député a reçu 130 000 euros à distribuer suivant son bon vouloir, tandis que 140 000 euros était alloués à chacun des membres du bureau de l’Assemblée ; 260 000 euros pour les vice-présidents de l’hémicycle, les questeurs, les présidents de groupe et de commissions ; sans oublier le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui a eu droit à une généreuse enveloppe de 520 000 euros.

Rappelons que ces sommes ne sont pas des rémunérations et qu’elles sont au contraire destinées à être redistribuées en fonction des intérêts ou des préoccupations de chaque élu qui en dispose, afin par exemple de traduire en faits les promesses sur lesquelles il a pu se faire élire (non, on vous a dit que ce n’était pas du clientélisme, suivez un peu !). Cette année, donc, ce sont pas moins de 81.25 millions d’euros qui ont été redistribués… sur 90 millions alloués aux parlementaires. Les forts en maths devineront qu’il y a une différence de 8.75 millions d’euros qui ne semblent pas avoir trouvé de causes suffisamment justes ou utiles à soutenir. Ces millions orphelins ne le resteront pas bien longtemps puisqu’il réintègreront tout naturellement le budget de l’État.

Néanmoins, l’écrasante majorité des députés joue le jeu de la redistribution sociale en soutenant des causes aussi diverses que la réhabilitation d’un bâtiment inscrit au patrimoine historique, la construction de voies permettant le désenclavement de populations rurales isolées, ou encore l’aide à la mise en place de navettes destinées à faciliter le déplacement des personnes à mobilité réduite en milieu semi-urbain, par exemple. Certes, on pourrait s’étonner que toutes ces nobles causes aient besoin de faire la manche auprès de nos élus alors qu’elles semblent par ailleurs totalement éligibles aux nombreux programmes de subventions classiques départementales, régionales, nationales, voire européennes. Mais, l’administration étant tracassière, on peut comprendre aussi que certains projets aient du mal à réunir les soutiens nécessaires à leur élaboration. La réserve parlementaire est donc en ce sens une formidable mesure d’équité sociale et de bon usage de l’argent public.

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De la même façon, le nombre considérable d’associations ayant reçu des subsides par le biais de la réserve parlementaire prouve, s’il le fallait, que le financement du tissu associatif et bénévole est encore bien loin d’être correctement assuré par les voies habituelles.

Nous passerons en revanche sous silence le choix qu’ont pu faire certains députés de consacrer l’intégralité de leur enveloppe à des travaux coûteux dans les communes dont ils sont maires par ailleurs. Un mélange des genres qui ne plaide pas vraiment en faveur du cumul des mandats

Toutefois, quelques parlementaires ont visiblement du mal à trouver des projets intéressants ou des associations méritantes sur leur territoire, puisqu’ils n’hésitent pas à envoyer beaucoup d’argent (mais, alors vraiment beaucoup !) à l’autre bout du monde. Ainsi, ce député UDI qui a été visiblement si peu sollicité de la part de ses électeurs qu’il n’a eu d’autre choix que d’envoyer l’intégralité de son budget en Israël et en Grèce. Tel autre a-t-il été à ce point ému par le désœuvrement de petits enfants en Slovaquie qu’il n’a pas hésité à envoyer une dotation de 25 000 € pour l’achat de jeux de récréation d’une école primaire de Bratislava ? Juste en aparté, la petite école de village où va mon fils pourrait faire bien plus de choses que de s’équiper en ballons sauteurs et autres trottinettes avec une somme pareille. Et je suppose que le Finistère, région dont ce député est originaire, regorge d’écoles qui auraient pu trouver leur bonheur dans une dotation bien moindre.

Mais passons. Nous mettrons sur le compte des ces multiples dépenses extraterritoriales la fonction même de ces députés qui, pour beaucoup, représentent des Français à l’étranger. Des députés en revanche que nous sommes seuls, nous Français de France, à rémunérer… Néanmoins, tous les élus soucieux du bien-être des populations étrangères n’ont pas pour mission officielle de soutenir moralement nos concitoyens expatriés, lesquels ont parfois fait le choix douloureux mais volontaire de quitter leur mère patrie pour des raisons fiscales (tout en se souvenant de leur contrée d’origine lorsqu’il s’agit de solliciter un bout d’enveloppe parlementaire). Quelques députés, en effet, sont strictement ancrés dans notre terroir, dignes représentants d’une population locale qui les a portés aux plus hautes fonctions législatives… et qui choisissent malgré tout d’exprimer l’essentiel de leur générosité à l’égard de populations lointaines (Europe de l’Est, Afrique, Asie, Amérique du Sud…).

Ainsi, qu’il s’agisse de payer les travaux de réfection pour des bâtiments en Croatie, d’acheter des machines « pour créer une activité de confection de vêtements à la prison de Lurigancho au Pérou« , ou encore de financer le fonctionnement de l’Alliance Française de Mongolie, nos députés ont distribué directement ou indirectement en 2015 pas moins de 2 millions d’euros à des organismes ou des personnes privées à l’étranger. Je l’ai dit, je ne cherche pas à contester l’utilité de défendre une certaine justice sociale (pour ne pas dire humanitaire) à l’échelle de la planète, et je conçois qu’on ait à cœur de soutenir des initiatives dans des régions du monde le plus souvent déshéritées. Mais, c’est déjà plus dérangeant lorsque je vois des centaines de milliers d’euros s’envoler vers des établissements basés aux États-Unis, en Grande Bretagne, en Allemagne, au Canada ou en Australie. Autant de contrées qui ne me semblent pas faire partie du tiers-monde et dont les programmes de subventions publiques valent bien les nôtres. Et que dire enfin de ces députés qui envoient une partie de leur réserve en Suisse ou au Luxembourg… ?

Alors oui, on va me dire que c’est un faux procès et que tous les destinataires sont parfaitement identifiés, les sommes parfaitement justifiées, les motifs parfaitement légitimes. En effet, tout est parfaitement… parfait ! Presque trop. Et je ne dis pas qu’une élue remettant une enveloppe de 15000 euros à l’Association des Membres de l’Ordre des Palmes Académiques en Suisse vise nécessairement l’attribution prochaine d’une nouvelle distinction honorifique pour compléter sa collection de médailles, mais d’autres que moi, bien moins pondérés, pourraient le supposer.

Quoi qu’il en soit, entre les millions non distribués et ceux qui ont été dévolus à des actions à l’étranger (en faveur des Français expatriés ou non, d’ailleurs…), on atteint facilement les 11 millions d’euros qui auraient pu par exemple, venir soutenir la lutte contre les violences faites aux femmes (aidées quand même à hauteur de 94793 €, donc elles ne vont pas se plaindre non plus, hein) ou le renforcement des droits de l’enfant (qui a récolté… 500 euros).

Pendant ce temps, la Présidence de l’Assemblée Nationale a décidé de consacrer 370 000 € à l’aide aux réfugiés et 160 000 € à la Fondation pour l’innovation politique. C’est bien, ça, l’innovation politique. Je suis impatient d’en voir les résultats. Un jour…

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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