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Les banques centrales ont perdu toute autonomie. Elles ne sont désormais rien de plus que des « filiales » des Etats, pour reprendre l’expression de Patrick Artus. Leur rôle consiste à empêcher la bulles des dettes d’Etat – et avec elle toutes les autres – d’exploser.

Cela finira pourtant par arriver. Et ce jour-là, vous ne vous demanderez sans doute plus si vous avez bien fait de relouchifier alors que l’or cotait autour de 1600 € l’once.

Œuvrer chaque jour à sauver un système économique et financier condamné, ce n’est plus de la politique monétaire

Comme l’écrit Patrick Artus, « Le Quantitative Easing est normalement un instrument de la politique monétaire utilisé par les Banques Centrales quand elles ne peuvent plus baisser les taux d’intérêt pour soutenir le crédit et la demande intérieure. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas : le Quantitative Easing permet simplement aux Etats d’accroître fortement leurs déficits publics en vendant la dette publique émise aux Banques Centrales. Il est donc devenu un instrument de la politique budgétaire, plus de la politique monétaire. »

Les banques centrales ne peuvent plus changer de stratégie : maintenant, c’est marche ou crève !

Le 9 novembre 2018, Patrick Artus posait la question : « N’aurait-il pas été plus judicieux que les banques Centrales, si l’inflation targeting n’est plus utilisable, reviennent à leur objectif du passé, l’offre de la quantité de liquidité nécessaire au bon fonctionnement de l’économie ? »

Vous aurez noté que déjà à l’époque, Natixis s’interrogeait au passé. Et pour cause : cela fait belle lurette que le retour en arrière n’est plus possible.

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Le problème, c’est que nos grands planificateurs monétaires n’ont aucune stratégie de sortie, aucun plan de retour à la normale – pas plus d’ailleurs que n’en n’avaient ceux de la grande époque du Zimbabwe. Or, comme l’histoire l’a amplement démontré, les politiques de fuite en avant budgétaire et monétaires ne peuvent pas durer éternellement.

Chaque fuite en avant, chaque bulle est soutenue par une croyance. L’Everything Bubble perdure car les marchés ont confiance dans la capacité d’action des banques centrales. Le jour où cette croyance disparaîtra, le château de cartes s’effondrera, et le cours de l’or explosera.

Ce qui nous amène à la question suivante.

Quelle sera la prochaine forfaiture des banques centrales ?

S’abaisser à acheter des junk bonds, c’est déjà fait – en tout cas en ce qui concerne la Fed.

Pour ce qui est des Etats-Unis, la prochaine étape sur la voie de l’avilissement de la monnaie pourrait être l’instauration de taux directeurs négatifs – une première dans l’histoire du pays.

Après avoir annoncé et répété depuis fin mars que la capacité de prêt de la Fed ne connaît « aucune limite », Jerome Powell a toujours refuser d’envisager d’instaurer des taux directeurs négatifs.

Le problème, c’est que « jamais depuis peu après la seconde guerre mondiale, un président n’a aussi ouvertement cherché à dicter la politique de la Fed », comme a tenu à le souligner Paul Volcker dans les derniers jours de sa vie.

Donald Trump exige des taux négatifs depuis au moins le mois de novembre dernier. Il en a d’ailleurs remis une couche la veille d’une allocution très attendue de Jerome Powell.

12 mai : « Si d’autres pays bénéficient des avantages des taux négatifs, les États-Unis devraient également accepter ce « CADEAU ». De gros chiffres à la clé ! »

Or le 13 mai, Jerome Powell a repoussé cette hypothèse. En tout cas… « pour l’instant » !

« Je sais qu’il y a des fans de cette politique, mais pour l’instant, ce n’est pas quelque chose que nous envisageons », a-t-il déclaré. Le POTUS n’a bien sûr pas manqué de témoigner sa désapprobation.

13 mai : Le président américain Trump : Je pense fermement que nous devrions avoir des taux négatifs ; Je ne suis pas d’accord avec le président de la Fed Powell au sujet des taux négatifs »

Les taux négatifs sans les aimer

Seulement voilà, force est de constater que, jusqu’à présent, Jerome Powell n’a pas témoigné d’une extraordinaire indépendance dans son action au regard des demandes formulées expressément par Donald Trump.

Certes, la relation des deux tourtereaux a été compliquée, mais les choses ont toujours fini par s’arranger.

10 mars : « Trump dénonce une Fed « pathétique et lente » alors que les démocrates prennent les devants dans le cadre des élections de 2020 »

15 mars : « Trump samedi : Powell est nul, je vais peut-être le virer. Dimanche : Powell : Voici des taux zéro et un QE. Indépendance de la Fed : Ha ha. »

13 mai : « La Fed a fait tout ce que le président Trump a demandé dans ses tweets au cours des deux dernières années : des réductions de taux [directeurs], un abaissement des taux à zéro, un peu de QE, et maintenant un QE infini. Hier, Trump a exigé des taux négatifs. La Fed y consentira également avant les élections. »

Le bon Jerome a même eu droit à un chaleureux coup de fil du POTUS, lequel l’a félicité pour son « good job », et qui le gratifiera sans doute d’une petite tape paternelle sur l’épaule la prochaine fois qu’il le verra.

24 mars :  « Je suis content de lui, je pense vraiment qu’il a rattrapé son retard », a déclaré Trump à propos du président de la Fed, Jerome Powell […]

Bref, on ne peut donc que difficilement s’étonner que les marchés misent sur des fed funds négatifs d’ici le milieu de l’année prochaine.

On a d’ailleurs droit au même genre de cirque au Royaume-Uni, avec une banque centrale qui nous dit un jour qu’elle pèse le pour et le contre d’une stratégie de taux d’intérêt négatifs…

… avant de déclarer précisément le contraire à peine deux jours plus tard.

Les taux négatifs sont-ils un « cadeau » ou une malédiction ?

Evidemment, Donald Trump fait partie des « fans » des taux négatifs, et sans doute de quelque autre solution budgétaire ou monétaire que ce soit susceptible d’assurer sa réélection en novembre 2020.

D’autres considèrent au contraire qu’il s’agit d’une malédiction. Demandez par exemple aux banques (en particulier européennes) qui ont vu leur rentabilité disparaître comme une peau de chagrin ces dernières années. Posez aussi la question aux épargnants qui ont vu les taux négatifs se répercuter sur leur compte courant, notamment en Suisse et en Allemagne. Cela n’est un secret pour personne : le financement des dettes d’Etats à taux zéro ne peut pas avoir lieu sans mener en parallèle une politique de répression financière drastique.

A la décharge de Donald Trump, peut-être les Etats-Unis n’ont-ils plus vraiment le choix. Albert Edwards explique le mécanisme à l’œuvre :

« Bien que je pense que des taux d’intérêt bas et même négatifs sont probablement contre-productifs en termes de croissance économique, j’ai longtemps soutenu que les Fed Funds deviendraient un jour négatifs, pour la simple raison de la force du dollar. Si d’autres pays le font, quelle est l’alternative, à part une intervention illimitée sur les devises ? »

Bienvenue dans la guerre des devises ! Le dollar est trop fort par rapport aux autres devises – c’est en tout cas ce que martèle Donald Trump.

2 décembre 2019 : « La Fed devrait baisser les taux (il n’y a presque pas d’inflation) et relâcher les conditions monétaires, ce qui nous rendrait compétitifs vis-à-vis des autres nations, et la production s’envolerait ! Le dollar est très fort par rapport aux autres. »

Et l’un des principaux enjeux en est que les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre de laisser les autres pays exporter leur déflation chez eux, pour toutes les raisons que nous avons vues dans cet article. Par conséquent, « barrer la route à une inflation sous-jacente négative est une priorité plus importante que les marges bancaires », comme le résume Albert Edwards. Alors pour ce qui est des épargnants…

Mais d’ailleurs, pourquoi en rester-là : et si la Fed se mettait à acheter des actions ?

Là aussi, comme pour les taux d’intérêt négatifs, à peine évoquée l’idée est fermement rejetée par les banquiers centraux.  

11 mai : « Rapahel Bostic, ne pense pas que la Fed serait encline à acheter des actions »

Enfin vous noterez tout de même que le président de la Fed d’Atlanta n’a pas dit « non ».

Et pourtant, la Banque du Japon et la Banque centrale suisse le font bien, alors pourquoi pas la Fed, pourrait rétorquer Donald Trump ou son successeur ?

Bienvenue dans le « projet Zimbabwe »

La monétisation de la dette des Etats par les banques centrales nous a fait entrer dans l’ère de la Théorie monétaire moderne.

« La Fed financera le déficit massif du gouvernement en achetant des quantités sans précédent de titres du Trésor. C’est la théorie monétaire moderne (MMT) en action. »

Toutes les limites – sur le marché de la dette d’Etat mais aussi sur les autres – ont vocation à être repoussées. Le calice est rempli à ras bord et il s’agit maintenant de le boire.

Les tentatives de normalisation sont désormais loin derrière nous et nous ne sommes pas prêt d’en reparler. Les bazookas finiront par laisser leur place à des options plus « nucléaires ».

Comme l’écrit Bruno Bertez, « Le défi Prométhéen est d’avoir appliqué de l’infini, la liquidité, sur du fini, la solvabilité. C’est un mismatch radical, un désajustement criminel. Qui doit être puni. […] Quand on met de l’infini divin sur du fini humain, les dieux se vengent ».

Comme cela a été le cas à chaque fois que de grands planificateurs monétaires se sont pris pour des dieux, la punition sera la désintégration de la valeur de nos devises, et avec elle l’explosion du cours de l’or.

Bienvenue dans le « projet Zimbabwe ».

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

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