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Le 21 mars prochain, l’application en France d’une directive européenne sur le crédit immobilier risque de rendre inéligibles au rachat de crédits la plupart des demandeurs les plus fragiles… c’est à dire ceux qui, justement, ont le plus besoin de regrouper leurs crédits pour éviter le surendettement.

Sur le fond, la directive européenne sur le crédit immobilier a un objectif parfaitement légitime, et même louable, puisqu’elle vise à renforcer la protection des consommateur à l’échelle communautaire face à une offre de crédit immobilier dont les pratiques demandaient à être harmonisées. L’ennui, c’est que, comme bien souvent, Bruxelles a oublié de tenir compte d’une spécificité bien française, elle aussi destinée à protéger les consommateurs : le taux d’usure.

Petit rappel. En France, les taux d’intérêts sont libres et ils dépendent généralement à la fois du montant emprunté, de la durée du prêt, mais aussi du profil de l’emprunteur et du projet éventuel justifiant la demande de crédit. Néanmoins, afin d’éviter des abus de la part des prêteurs (un risque purement théorique, rassurons-nous), le législateur a mis en place des taux plafonds, appelés aussi taux d’usure, qu’il est strictement interdit de dépasser. Là encore, ces taux d’usure vont dépendre des sommes prêtées, des durées et des projets financés et correspondent à 133% des taux moyens constatés.

Chaque trimestre, ces plafonds sont révisés pour tenir compte des fluctuations des taux du marché. Ainsi, au 1er janvier 2016, le taux d’usure pour les crédits immobiliers à taux fixe s’établissait à 3.96 % par an. Un niveau, il est vrai incroyablement bas quand on se souvient des taux normaux d’il y a dix ans (souvent supérieurs à 5%) mais parfaitement cohérent aujourd’hui avec des offres qui peuvent désormais descendre jusqu’à 1.55 % sur 20 ans.

Le rachat de crédits, quant à lui, est une opération permettant d’alléger considérablement ses remboursements en regroupant tous ses emprunts sous un seul et même crédit, généralement à un taux bien plus avantageux que les différents taux d’origine, surtout si les crédits sont anciens. Ainsi, une famille accumulant par exemple des crédits à la consommation, des cartes de financement (revolving), un crédit auto, un découvert autorisé, etc., peut facilement retrouver une situation financière plus confortable avec un seul emprunt qui rachèterait tous les autres, la mensualité unique étant très souvent bien inférieure à la somme de toutes les mensualités précédentes. Bien évidemment, le taux d’intérêt dépendra toujours du profil de l’emprunteur, de la somme et de la durée du nouveau crédit, et s’établira en général sur une base de crédit à la consommation (au maximum 7.61%). Mais si le rachat concerne également un prêt immobilier et que la part de l’immobilier dépasse 60% du montant total refinancé, le regroupement sera considéré comme un prêt immobilier. Avec cette fois un taux d’intérêt qui ne pourra donc dépasser 3,96%.

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Évidemment, tous ces rachats de crédits sont assortis de garanties pour permettre à l’établissement de crédit d’équilibrer son risque lorsqu’elle prête à des personnes fragiles (à ce titre, si les taux sont plus bas dans le cas de regroupements incluant une part majoritaire de créance immobilière, c’est parce qu’un bien immobilier constitue généralement une garantie optimale). Et c’est justement là que réside le problème avec la mise en place prochaine de la directive européenne, car celle-ci prévoit que tout crédit (ou rachat de crédits) assorti d’une garantie, que ce soit par hypothèque ou par cautionnement, devient de facto un prêt immobilier.

Si cela ne changera pas grand chose pour ceux qui demanderont un rachat de crédit immobilier (ou a forte dominante immobilière), il n’en sera en revanche pas de même pour tous les autres, dont l’endettement excessif est généralement dû à l’utilisation de crédits révolving et autres prêts multiples à la consommation, mais aussi lié à des accidents de la vie ayant causé une forte chute de leurs revenus (maladie, décès, chômage…). Avec un taux d’intérêt limité mécaniquement à 3.96%, et à défaut de pouvoir prendre des garanties suffisantes, aucun prêteur ne voudra plus se risquer à racheter les crédits des foyers les plus fragiles. Ces derniers pourraient bien alors se voir tout simplement exclus de ce type d’opération, laquelle est bien souvent l’opération de la dernière chance avant la commission de surendettement.

La solution ? Certains proposent la suppression des taux d’usure, tout au moins pour les crédits immobiliers, mais ce serait alors un recul considérable en matière de protection des consommateurs. D’un autre côté, se contenter d’abandonner les foyers surendettés à leur triste sort n’est pas envisageable non plus. Autant dire que la situation est pour le moins inextricable et, à défaut d’amender directement la directive européenne pour qu’elle tienne compte des spécificités françaises, il y a fort à parier que la situation des emprunteurs en France va très certainement constituer un nouveau défi de société à partir du printemps prochain. Et cela pourrait bien également devenir un sujet politique explosif à moins d’un an des prochaines campagnes électorales majeures.

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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