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Pourquoi la communauté internationale, majoritairement hostile, jusque dans les gouvernements, à la politique étrangère de George W. Bush, n’osait-elle pas s’y opposer ? Pourquoi ni les Européens ni les États arabes détenteurs de pétrole ni les pays d’Asie détenteurs de bons du Trésor américain n’avaient-ils menacé Washington de cesser de financer les déficits américains ? La réponse se trouvait dans une réalité très simple : l’économie mondiale fonctionnait – et fonctionne toujours au moment où nous achevons la rédaction de cet ouvrage – selon le système de l’étalon dollar. Le dollar est la monnaie de réserve du monde et, si les États-Unis ont pu, depuis les années 1960, s’endetter massivement, c’est parce que le reste du monde a besoin de dollars pour assurer le financement de l’économie internationale. Personne n’avait intérêt, en 2003, à remettre en cause le mode de financement de l’outil de défense américain car c’était à la clé de voûte du système monétaire et financier international qu’il aurait alors fallu s’en prendre.

Ceux qui comprenaient ce fait trouvaient cependant trop dangereux de remettre en cause le pivot de la mondialisation américaine — au risque d’être entraînés dans l’aventurisme militaire des États-Unis. Mais beaucoup ne le comprenaient même pas, tant il est vrai que les mécanismes monétaires ont été obscurcis dans l’esprit de nos contemporains. Le système qui a permis à George W. Bush de financer, depuis 2001, la guerre d’Afghanistan, la guerre d’Irak et de mener une politique étrangère unilatérale, était né quarante ans plus tôt, dans une situation étrangement similaire. Voulant financer la guerre du Vietnam, les États-Unis avaient commencé à laisser filer leurs déficits. Un président français, déjà, avait dénoncé les façons de faire de Washington : mais le Général de Gaulle, puisqu’il s’agissait de lui, avait mis le doigt sur le point essentiel lorsqu’il avait appelé la communauté internationale à rétablir un ordre monétaire international fondé sur un étalon impartial — l’or — plutôt que sur une monnaie nationale, fût-elle celle du pays le plus puissant du monde.

Après sa conférence de presse du 4 février 1965, le Général de Gaulle avait recueilli sarcasmes ou indifférence. Et son successeur, Georges Pompidou, oublia ses avertissements, lorsqu’il accepta, en décembre 1971, que le dollar fût détaché de l’or et servît néanmoins de monnaie de réserve internationale. Le successeur de Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, accepta que fût définitivement scellée la domination du dollar en signant,en 1976, les Accords de la Jamaïque, qui démonétisaient l’or.

L’historien a toutes les raisons de penser que les contemporains de ces événements n’ont pas pris la mesure du séisme déclenché. Ils ont été incapables de comprendre pourquoi le monde est, depuis lors, entré dans une période de désordre économique croissant, dont les crises pétrolières des années 1970 marquèrent la première étape — les prix du pétrole, libellés en dollars, augmentèrent en fonction de la dépréciation de la monnaie américaine. Soumis au régime d’une monnaie de papier, toujours plus abondante et toujours plus menacée de dépréciation, le monde a vu se développer les inégalités : non seulement les États-Unis ont attiré une part toujours plus importante de l’épargne mondiale (environ 75 % au milieu des années 2000) ; mais, confrontés à la dévaluation possible — et potentiellement totale — de ce bout de papier qu’est le « billet vert », ceux qui en possédaient déjà ont eu tendance à vouloir l’acquérir en quantités toujours plus importantes et à empêcher, toujours plus, sa redistribution. L’accroisse¬ment des inégalités a eu lieu non seulement entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres mais aussi au sein des économies développées, et jusqu’aux États-Unis : les politiques de redistribution sociale ont été progressivement abolies au nom d’un « néo-libéralisme » qui n’avait pas grand chose à voir avec la liberté.

EXTRAIT DU LIVRE de Norman Palma et Edouard Husson Le capitalisme malade de sa monnaie : Considérations sur l’origine véritable des crises économiques

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A propos de cet ouvrage : On entend souvent dire aujourd’hui que la crise économique et financière qui déferle actuellement sur le monde n’était pas prévisible. Rien n’est plus faux. A l’origine de la crise, il y a un Système Monétaire International profondément déréglé par le régime de l’étalon-dollar. Depuis plusieurs décennies, des esprits avertis avaient prévenu des effets dévastateurs qu’aurait nécessairement la politique d’émission de plus en plus déraisonnable de la Réserve Fédérale américaine sur l’économie mondiale. Comme le dit avec force Maurice Allais, le Prix Nobel français d’économie, dans une indifférence générale  » Ce qui doit arriver arrive « . Il se produit donc aujourd’hui ce qui arrive toujours en régime de papier-monnaie : après l’euphorie de la multiplication sans limite du crédit vient le krach. C’est ainsi que le billet vert tend vers sa dépréciation absolue. Même si tout est fait pour en retarder l’échéance, nous n’échapperons pas à l’effondrement du dollar et des monnaies qui se sont imprudemment solidarisées avec lui. Pour limiter, si cela est encore possible, les effets de cette catastrophe inévitable, il faut créer de toute urgence une Unité de Compte Internationale qui soit un panier des grandes monnaies-papier auxquelles on devra ajouter l’or qui redonnera une crédibilité indispensable à la monnaie fiduciaire. Par la suite, il ne faudra pas se contenter de revenir à la référence or que va, en tout état de cause, imposer le marché, quoi que puissent penser ou faire les grands dirigeants économiques et politiques. Pour dépasser les limites quantitatives de l’or, il sera nécessaire de revenir à son indispensable complément circulant  » : l’argent-métal qui a présidé, avec l’or, à l’essor historique de la richesse des nations. Ce diagnostic posé, et le seul remède possible analysé, reste la question de la mise en œuvre d’une immense réforme par un personnel politique largement responsable de la situation, qui n’a pour l’essentiel rien prévu et dont l’action est, à tous égards, jugée par la présente tragédie…

Biographie des auteurs : Edouard Husson est maître de conférences à Paris IV (Paris-Sorbonne) et directeur de recherches en histoire contemporaine. Norman Palma est maître de conférences à Paris IV (Paris-Sorbonne), docteur en économie et docteur d’Etat ès lettres.

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Jean-François Faure
Jean-François Faure. Président d’AuCOFFRE.com. Voir la biographie.

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