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Dans le jargon financier, la backwardation et le contango décrivent deux situations opposées. Quelle réalité recouvrent ces deux notions aux noms exotiques ? Pourquoi la backwardation du cours de l’or est-elle beaucoup plus inquiétante que la backwardation des autres matières premières 

La backwardation et le contango ne sont pas de nouvelles danses américaines. Il y a presque 10 ans, j’avais brièvement évoqué ces deux termes dans mon livre. Voici ce que j’en disais : « Lorsque l’or est en backwardation, le niveau de pression affichée par le baromètre aurifère est à un niveau particulièrement alarmant. C’est le signal d’une perte de confiance massive dans le système financier, comme cela a été le cas en décembre 2008. » Pour le contango, c’est le contraire.

Aujourd’hui, nous allons démonter le moteur de ces deux notions. Je vais fonder mon propos sur un chapitre du rapport In Gold We Trust 2022 rédigé par Keith Weiner, auteur invité et serial entrepreneur.

Accrochez-vous, c’est un peu technique !

Le point de départ : comment le marché de l’or se distingue-t-il de ceux des autres matières premières ?

Vers les termes financiers compliqués, volons avec des idées simples.

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En principe, les marchés de matières premières fonctionnent assez simplement. L’offre, primaire (ce qui est extrait du sol terrestre) ou secondaire (ce qui est recyclé, le cas échéant), est confrontée à la demande. Fin de l’histoire.

La situation de l’or est différente. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer que l’or se distingue des autres matières premières par moult aspects. L’un d’entre eux est que le métal jaune n’est pas consommé lors de son utilisation : sous une forme ou sous une autre, l’or est accumulé depuis des millénaires.

Pour Keith Weiner, cet état de fait entraîne une dizaine d’implications, dont voici celles qui me semblent les plus importantes :

  • « Premièrement, il ne peut pas y avoir d’excès d’or ». Et pour cause, « Si le marché a absorbé tout l’or provenant des mines depuis des millénaires, alors il absorbera tout ce qui sortira des mines l’année prochaine. »
  • « Deuxièmement, l’extraction annuelle totale ne représente qu’un faible pourcentage de l’or total existant. Si nous inversons ce pourcentage, alors nous obtenons le ratio stock/flux qui, pour l’or, se mesure en décennies (contre quelques mois pour les matières premières ordinaires). »
  • « Troisièmement, tout l’or du monde constitue une offre potentielle. » Il suffit simplement d’y mettre le prix. (On en revient à la notion de demande de réservation que je ne développerai pas ici, s’agissant d’une notion dont je vous ai déjà abondamment entretenu, à l’instar du ratio stock/flux.)
  • « Quatrièmement, les variations de la production minière ou de la fabrication de bijoux sont insignifiantes par rapport au stock d’or. […] Supposons que les sociétés d’exploitation minière d’or aient une année calme et ne produisent que 2 400 tonnes de métal [contre environ 3000, habituellement]. Cette diminution de 20 % peut sembler importante. Mais par rapport aux 200 000 tonnes [d’or à la surface du globe], cette différence de 600 tonnes ne représente que 0,3 %. Les effets de ce changement seront minimes. » Autrement dit, compte tenu de l’énorme demande de réservation qui caractérise le marché de l’or, l’offre primaire n’a que peu d’impact sur le cours du métal.
  • « Cinquièmement, […] l’utilité marginale des matières premières ordinaires est décroissante. Lorsqu’elle tombe en-dessous du coût de production, il y a surabondance et le cours s’effondre. »
  • « Par conséquent – et sixièmement -, l’or est différent des matières premières ordinaires. L’utilité marginale de l’or ne diminue pas – ou, si elle diminue, cela se produit si lentement que même après des milliers d’années d’accumulation chronique, le cours de l’or est toujours supérieur à son coût de production. »
  • Huitièmement, « l’unité d’or N+1 produite ayant la même valeur que la précédente », il s’ensuit que « l’or est la meilleure unité de mesure de la valeur économique. »
  • « Neuvièmement, l’or n’est pas précieux en raison de sa rareté. En effet, mesuré de manière appropriée, il est même plutôt abondant. L’or a un ratio stock/flux plus élevé que presque toutes les autres matières premières – à l’exception peut-être de l’eau. »
  • « Dixièmement, le ratio stock/flux élevé de l’or et sa grande abondance signifient qu’il y a une quantité massive de métal jaune par rapport à n’importe quel acteur de marché. Même la plus grande banque centrale du monde ne possède que 8 000 tonnes sur 200 000, soit 4 % [du stock d’or extrait du sol terrestre au fil de l’histoire]. » Et Keith Weiner de lister 9 éléments « qui ne permettent pas de prédire le cours de l’or » (par opposition aux autres matières premières) au rang desquels on retrouve bien sûr des ventes massives par un acteur de marché, aux côtés notamment des variations (à la hausse ou à la baisse) de la production minière.

Vous voyez que l’on commence à s’éloigner de l’approche conventionnelle de l’offre et la demande qui trouverait par exemple à s’appliquer à l’égard du cuivre.

Et Keith Weiner de préciser que « Le propos ci-dessus est important pour replacer l’or dans son contexte en tant que monnaie. Si l’on y réfléchit, une monnaie devrait avoir certaines propriétés telles qu’une utilité marginale non-décroissante et un ratio stock/flux élevé ».

Vous avez du mal à voir ce que tout cela a à voir avec la backwardation et le contango ? Rassurez-vous, on y arrive !

Qu’est-ce que la backwardation et le contango ?

Comme l’explique Keith Weiner, « Normalement, le cours sur le marché à terme est plus élevé que le cours sur le marché au comptant, et ce afin de couvrir le coût du stockage et le crédit de l’entreposeur (le teneur de marché qui négocie l’écart entre le cours au comptant et le cours à terme) pour financer la position. » C’est le contango, la situation « normale ».

Comme je l’ai expliqué dans mon bouquin, « La backwardation (on parle en bon français de situation de déport) est un terme d’analyse technique qui définit, par opposition au contango (report), la situation dans laquelle l’or vaut plus cher sur le marché spot – au comptant – que sur les marchés à terme. En d’autres termes, l’or à la vente aujourd’hui est plus cher que l’or à la vente demain (alors que le prix de l’or à la vente demain intègre les coûts d’assurance, de stockage et de transport). »

Que nous disent la backwardation et le contango au sujet du système économique et financier ?

Au plus un contango est élevé et en hausse, au plus la situation de marché se caractérise par l’abondance. Au contraire, la backwardation est caractéristique d’une situation de pénurie.

Comme l’explique Keith Weiner, « Cela s’applique à l’or, bien qu’il n’y ait pas de pénurie d’or. Comme nous venons de le voir, pratiquement tout l’or extrait dans l’histoire de l’humanité est entre les mains de l’Homme. Cependant, même avec l’or, il peut y avoir une pénurie […] sur le marché. »

Cela n’est pas anecdotique. « L’or étant de la monnaie, une pénurie d’or sur le marché est donc plus grave qu’une pénurie de blé avant la prochaine récolte », fait remarquer Weiner.

La backwardation de l’or indique une situation de crise dans laquelle la confiance s’érode et l’or n’est plus à vendre.  

Comme je l’ai expliqué dans mon bouquin, « Le niveau de confiance dans le système financier est [alors] si bas que les intervenants préfèrent payer plus cher pour acheter de l’or physique immédiatement plutôt que de payer moins cher un or dont ils jugent la livraison à terme douteuse. […] Le professeur Antal E. Fekete résume la situation dans les termes suivants : ‘’Une situation de backwardation prolongée traduit le sentiment que « l’or n’est plus à vendre, peu importe le prix » ».

Et Weiner d’ajouter que la backwardation « est le signe avant-coureur d’un effondrement monétaire. Cela ne devrait jamais arriver. Il n’y a pas de pénurie d’or. Mais cela s’est produit par intermittence depuis décembre 2008. Rappelons que fin 2008, la crainte d’un effondrement du système bancaire était largement répandue. Cette crainte s’est traduite par le passage de l’or en backwardation. Celle-ci n’a pas duré longtemps car les autorités monétaires ont injecté tellement de liquidités que le risque d’effondrement a été repoussé. Depuis, l’or est repassé en backwardation à plusieurs reprises », rappelle Weiner.

En résumé, « Le cours d’une matière première sur le marché à terme est normalement plus élevé que le cours sur le marché au comptant. Lorsqu’il s’inverse, c’est la preuve d’une pénurie croissante. Cela est vrai pour les matières premières ordinaires et pour l’or, bien que pour l’or le mécanisme soit un peu différent », comme le formule Weiner.

Comment se résout (en principe) une situation de backwardation ? (backwardation et cours de l’or)

Par la hausse du cours de l’or. « Jusqu’à présent, le remède à une backwardation temporaire a été la hausse des cours. Lorsque les cours augmentent, certaines personnes sont suffisamment motivées pour vendre. Une plus grande quantité d’or est donc offerte sur le marché, et la backwardation s’estompe jusqu’au prochain épisode », comme l’indique Weiner.

Sauf à ce que bien peu de gens ne soient prêts à vendre, auquel cas la backwardation est durable et le cours de l’or n’en finit plus de monter. Une situation qui, si elle devait se produire, aurait à mon avis cette fois-ci plus de chance de succéder à des tensions extrêmes sur le système bancaire de la zone euro plutôt que sur son homologue américain.

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

1 COMMENTAIRE

  1. Merci pour cet article, très technique en effet, on peut relever et apprécier votre expertise.
    A t on une idée de la répartition des stocks d’or dans le monde, vous parlez au total de 20o.ooo tonnes. On connaît la répartition des stocks détenus par les états, mais cela représente qu’un faible pourcentage du chiffre que vous énoncez

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