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Après plus d’un demi-siècle de mondialisation, des économistes commencent à travailler sur un monde démondialisé. C’est le cas de Guillaume Vuillemey, professeur de finance à HEC Paris et spécialiste de l’histoire économique. Il défend le temps de la démondialisation et l’urgence d’inventer une nouvelle forme de souveraineté fondée sur un protectionnisme social et environnemental. Est-ce la fin du libre-échange ? 3 questions à Guillaume Vuillemey.

Que reprochez-vous à la mondialisation ? Qui nous a permis de nous développer, de bénéficier de plus de confort ?

Guillaume Vuillemey : Dans mes travaux scientifiques, j’essaie de comprendre et d’établir les coûts et les bénéfices de la mondialisation. Mon constat c’est que depuis plusieurs décennies, tous les discours dominants ont été extrêmement favorables à la mondialisation, n’ont vu que ses avantages : des bénéfices pour le consommateur, on a eu plus de biens à des prix faibles.

Les coûts de la mondialisation

On a considérablement négligé les coûts de cette mondialisation : le coût social, environnemental mais aussi la défense d’un modèle industriel ou d’intérêts stratégiques. Il ne s’agit pas de rejeter l’ensemble de la mondialisation mais de rétablir un équilibre que je considère rompu depuis assez longtemps. Il y a un exemple que je cite souvent. Aujourd’hui, du poisson péché au large des côtes de Bretagne part en Chine pour être vidé et transformé pour revenir ensuite sur les étals des supermarchés en France. C’est bénéfique pour le consommateur puisque le prix est bas mais quel est le coût environnemental et social de ce produit ? Il faut surtout revenir sur le concept « roi » du libre-échange.

Au-delà de la démondialisation, vous parlez vous de déterritorialisation ? Quelles différences ?

L’échange lointain est né avec le commerce. Mais à l’époque le commerce sur de longues distances s’efforçait toujours de de trouver un équilibre entre les intérêts privés des marchands et les intérêts des territoires qui étaient traversés. Au Moyen-Age par exemple, l’Europe est un patchwork d’états, de royaumes, de duchés, etc. Les marchands les traversent mais ils se plient à des normes, à des taxes et des impôts. L’idée est d’obtenir toujours un équilibre entre « le bien commun (le territoire) » et les intérêts privés (les marchands).

Les découvertes maritimes à l’origine de la mondialisation

D’ailleurs c’était aussi vrai pour le transport maritime puisqu’à l’époque, on faisait du cabotage, on allait de port en port donc on gardait un lien avec les territoires. La mondialisation, cette déterritorialisation ne respecte plus les territoires traversés. Et cela date des grandes découvertes du XVème siècle avec Christophe Collomb, Vasco de Gamma et d’autres qui « ouvrent » le monde. Et finalement, le marchand peut s’affranchir de nombreux territoires pour faire son commerce. A partir de cette époque, il y a un espace sur terre, les océans, qui échappe totalement aux politiques, aux normes. Finalement, un droit maritime va être créé, il n’a rien à voir avec le droit civil…des terriens.

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Justement, ce monde maritime est pour vous l’illustration même de la déterritorialisation, de cette emprise du privée qui échappe totalement à la puissance publique.

Dès cette période de découvertes maritimes majeures, on se pose la question : à qui appartient la mer ? Au XVIIème siècle, les nations « découvreuses » revendiquent cette propriété des océans. Leurs marins ont découvert ces morceaux d’océans, ils sont donc à eux. Mais finalement, c’est le concept de « la liberté des mers » qui va s’imposer. Il définit qu’aucun souverain peut revendiquer la propriété maritime. Ce principe est toujours en vigueur aujourd’hui. Et de là découle un droit spécifique pour les gens de mer.

Droit privé contre droit civil

Comme l’espace est ouvert à tous, avec des langues, des cultures, des religions différentes, on ne peut pas définir de droit « civil », pour l’intérêt commun. On va uniquement travailler sur des arrangements de droits privé pour résoudre des conflits commerciaux. Alors aujourd’hui, ce droit existe toujours et 90 % du commerce…est maritime. Donc encadré par ces règles spécifiques. Et pour bien échapper au droit « terrestres », les gens de mer utilisent des pavillons dit de complaisance établis dans des pays qui sont eux aussi des zones de non droit ou peu exigeantes. Ainsi, quand il y a une marée noire, comme celle du Prestige par exemple, on s’aperçoit qu’il y a plusieurs sociétés écrans entre le navire et son commanditaire. Il est très complexe d’établir des responsabilités.

Après la mer, le numérique et l’espace

Le point fondamental pour moi, c’est qu’il y a un monde « hors sol », hors du bien commun qui s’est créé avec le maritime. On pourrait dire que c’est la même chose avec le numérique et sans aucun doute dans l’espace demain !

Allez plus loin sur ce sujet de la démondialisation :

Découvrez l’ouvrage de Guillaume Vuillemey : « Le temps de la démondialisation »

Regardez l’ensemble de l’entretien de Guillaume Vuillemey diffusé lors de la Rencontre Annuelle d’AuCOFFRE.com.

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Benjamin Rosoor
Je suis entrepreneur sur le web depuis 1999. Diplômé de l'école de journalisme de Bordeaux, j'ai tout d'abord été journaliste-reporter radio pendant 10 ans. J'anime plusieurs médias sociaux et blogs sur les entreprises, la tech, la finance, le marketing digital.

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