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Dans la catégorie « prédictions millénaristes » et autres statistiques prophétiques, la Deutsche Bank vient de donner du grain à moudre à tous ceux qui aiment voir des signes de fin du monde dans la première trace un peu louche laissée par leur grille-pain sur leur tartine matinale. En effet, la banque allemande a récemment mis à jour l’évolution du ratio or/pétrole depuis 1865 et l’allure générale de la courbe de tendance fait désormais dire à certains que la crise qui va bientôt nous frapper sera la pire que notre histoire aura jamais connue.

Soyons clairs, il n’est pas question ici de nier que tous les signes objectifs apparaissant sur les marchés depuis plusieurs mois maintenant concourent à nous mener vers une nouvelle crise de grande ampleur. Difficile également d’imaginer qu’on aura juste droit à une énième secousse, certes désagréable, mais qui finira par passer, comme les autres, sans doute avec l’aide des banquiers centraux qui nous inventeront pour l’occasion un nouveau tour de passe-passe financier dont ils ont le secret. Non, on sait que la prochaine sera probablement la bonne, celle qui risque fort de remettre en question pas mal de principes qu’on croyait jusqu’ici inébranlables, voire de bouleverser les fondements mêmes de nos sociétés.

Mais ce qui est gênant, en revanche, c’est de voir que certains partent de la conclusion possible pour remonter jusqu’à des déclencheurs, ou en tout cas des indicateurs, assez peu probants.

Prenons ainsi ce pseudo-modèle du ratio or/pétrole. On nous explique que chaque fois que la valeur de l’once d’or en barils de pétrole était au plus haut, on avait droit à une crise majeure. Crise d’ailleurs d’autant plus importante que le ratio atteignait un niveau élevé. Et, graphique à l’appui, on voit bien qu’en 1986, lorsque le pétrole cotait plus de 30 onces le baril, le monde connaissait les affres du contre-choc pétrolier. De la même façon, un nouveau pic au tournant de l’année 1994 coïncidait avec de graves bouleversements économiques en Amérique Latine. Idem fin 1998 où un nouveau pic venait coller à la crise asiatique. Puis ce fut le pic de 2009, correspondant à la crise des subprimes ; celui de 2011, à rapprocher de la crise en Europe ; et enfin le pic de 2015 marquant l’effondrement des économies émergentes dans lesquelles le monde entier mettait tant d’espoir. La courbe poursuit ensuite son envol vers des sommets jusqu’ici jamais atteints et dont on ne perçoit visiblement pas encore le plafond, laissant augurer une nouvelle crise comme jamais on n’en a connu jusqu’ici. Le raisonnement est séduisant, presque convainquant même. Sauf que…

Sauf qu’on essaie juste de faire dire à ce pauvre ratio or/pétrole autre chose que ce qu’il traduit. À savoir, une conséquence bien plus qu’une cause, ou même un signal. Inutile de rentrer dans le détail d’une analyse finement menée sur le lien entre l’or jaune et l’or noir. Contentons-nous simplement de reprendre la liste des fameux pics.

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– 1986 et le contre-choc pétrolier : non seulement 1986 marque la fin du phénomène initié en 1981 par les efforts conjoints (et volontaires !) des États-Unis et de l’Arabie Saoudite pour faire baisser le prix du baril et limiter l’emballement de l’économie mondiale, mais il se trouve que l’une des conséquences à été la mise en difficulté de l’URSS qui finit par ne plus avoir les moyens de financer les pays dits « satellites », ce qui mènera 3 ans plus tard à l’éclatement du bloc de l’Est et la fin de la Guerre Froide. Difficile d’y voir un évènement négatif. Et encore moins de supposer que le pic or/pétrole annonçait quoi que ce soit puisqu’il est arrivé à la fin du processus.

– 1994 et la crise des pays d’Amérique Latine : certes, le Mexique a connu une grosse année noire à ce moment précis et à peu près toutes les économies de la région en ont souffert, mais la crise existait déjà quasiment en continu depuis les années 70, en particulier à cause des dérives de l’idéologie communiste qui faisait des ravages dans tous ces pays. Et si on devait placer la crise de la dette des pays d’Amérique Latine sur une échelle du temps, on la situerait plus aisément à partir du début des années 80. Donc, là encore, il est abusif de considérer le pic de 1994 comme annonciateur de ce désordre international.

– passons rapidement sur le pic de 1998 censé annoncer une crise asiatique… qui a eu lieu durant la seconde moitié de l’année 1997.

– sourions à l’évocation du pic de 2009 qu’on nous présente comme précurseur de la crise des subprimes… de 2008 !

– alors oui, on a bien un pic en 2011 qui précède les défauts en cascade de pas mal de pays européens en 2012, mais on pourrait presque finir par croire à une coïncidence, d’autant que les choses n’ont fait qu’empirer entre 2013 et 2014… alors que cette fois le ratio or/pétrole était au plus bas (pétrole très cher et or en perte de vitesse)

– enfin, il est difficile de voir dans le « pic » de 2015 autre chose que l’amorce de l’envol de la courbe qui n’a depuis cessé de monter, sauf à un bref moment, en fin d’année, où certains ont pu croire que les mesures annoncées par certaines institutions (à commencer par la décision de la FED de remonter ses taux) allaient peut-être tirer tout le monde vers le haut.

Reste cette progression constante de la valeur de l’once d’or par rapport au pétrole, sur laquelle on pourrait gloser sans fin et lui trouver une quantité astronomique de raisons… comme de présages. Quoi qu’il en soit, le fait qu’on ait conjointement une forte baisse du prix du pétrole et une forte remontée des cours de l’or depuis le début de l’année 2016 doit probablement expliquer une bonne partie de cet essor sans précédent.

La crise, on l’aura, et elle sera probablement violente, dévastatrice même peut-être. Mais voir dans la valeur de l’or en barils un indicateur de cette violence semble aussi hasardeux que d’indexer le taux de chômage sur la natalité annuelle.

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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