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Depuis quelques jours, stimulée par les cours de l’euro et les inquiétudes soulevées au Forum de Davos, l’expression « Guerre des Monnaies » semble être revenue en force dans les préoccupation des médias comme de certains analystes économistes. Une crainte probablement injustifiée.

La semaine dernière, bien des choses se sont passées qui ont ravivé la croyance en une future éventuelle guerre des monnaies. Véritable serpent de mer de la finance, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un excellent ouvrage de Hongbing Song intitulé justement… La Guerre des Monnaies (publié en décembre 2013 aux Éditions Le Retour aux Sources), cette crainte d’une confrontation des devises résonne comme le signe annonciateur d’un effondrement de toute notre économie. Mais est-ce aussi évident, et surtout inéluctable ? Doit-on vraiment craindre pour la stabilité du monde et imaginer une crise sans précédente en cas de bataille rangée entre l’euro et le dollar notamment, mais aussi entre les monnaies asiatiques et occidentales, voire entre les cryptomonnaies et les devises traditionnelles ?

La dualité euro-dollar au centre de toutes les préoccupations

Pour le présent article, nous allons occulter volontairement ce dernier point, celui des cryptomonnaies, car il y aurait beaucoup à dire sans que pour autant ce soit en lien avec le reste de la problématique qui touche directement les devises dites régulées. De la même façon, l’affrontement inévitable entre l’Orient et l’Occident se déroulera sur tellement de fronts différents, à commencer par le front commercial, que les devises ne constitueront qu’un aspect de ce nouveau conflit tout autant idéologique qu’économique.

En réalité, les derniers jours qui viennent de s’écouler ont surtout donné l’occasion aux analyste de tout poil de se focaliser sur la dualité euro-dollar, tant il est vrai que ce couple monétaire reste encore largement celui qui peut avoir le plus gros impact sur les marchés financiers dans leur ensemble.

Ainsi, alors que le Forum économique mondial de Davos vient de toucher à sa fin, non sans avoir une fois encore confronté les visions diamétralement opposées des États Unis et de l’Europe (en particulier de la France) et tandis que dans le même temps, l’euro cotait plus de 1,25 dollars pour la première fois depuis des années alors qu’on imaginait sans peine une parité parfaite des deux principales devises occidentales il y a un an à peine (le 2 janvier 2017, l’euro valait tout juste 1.03 USD), nombreux furent ceux qui commencèrent à parler de prochaine guerre des monnaies (sous-entendez, une guerre entre le dollar et l’euro).

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Dollar faible contre dollar fort

Et c’est vrai que les déclarations contradictoires du secrétaire d’État du Trésor américain, lequel louait un dollar faible favorable à l’économie Outre-Atlantique, taclé le lendemain par le Président Trump qui annonçait au contraire qu’il n’imaginait pas autre chose qu’un dollar fort pour l’Amérique, ont été de nature à brouiller le discours autour de la stratégie menée par les États-Unis, alors même que leur économie et leur politique semblent surtout subir une baisse de confiance sans précédent, au profit d’un continent européen qui n’a finalement pas grand chose à faire pour récolter les fruit de l’incurie américaine. Car oui, ce n’est pas l’euro qui monte, boosté par Dieu-sait quel bon résultat de l’Union européenne (on les cherche encore…), mais bien le dollar qui s’écroule un peu plus chaque jour, non seulement sur les marchés mais aussi dans la confiance des investisseurs qui redoutent, entre autres, qu’une certaine instabilité mentale du représentant de l’Oncle Sam ne vienne définitivement laminer la légitimé du billet vert.

En résumé, avec un dollar qui ne cesse de perdre du terrain face à l’euro, avec des conséquences aussi positives que néfastes pour les deux camps, on est en droit de s’interroger, d’une part sur les conséquences à long terme d’une telle tendance si elle devait s’éterniser, d’autre part sur la signification profonde d’une telle situation dont rien ne dit qu’elle ne va pas encore s’aggraver, mais aussi et surtout sur la volonté des principaux acteurs à essayer de renverser la vapeur.

Avantages et inconvénients d’une devise forte ou faible

Car si pour l’Union Européenne, un euro fort reste un handicap pour le commerce extérieur, il faut se rappeler que, d’une manière générale, la plupart des pays majeurs de l’union n’ont finalement plus grand chose à exporter. En particulier la France qui s’est quasiment désindustrialisée au profit des pays d’Asie et d’Europe de l’Est et où il ne reste plus finalement que quelques fleurons d’excellence, symboles quelque peu surannés du bon goût à la Française qui s’exportent encore sous l’égide de marques de luxe universellement reconnues. Mais pour tout le reste, la France n’est plus productrice de grand chose, elle est surtout importatrice. Et là, un euro fort, c’est plutôt une bonne nouvelle.

Pour les États Unis, en revanche, le dollar faible sert directement les intérêts d’un Donald Trump qui veut relocaliser une bonne partie du Made in USA sur le territoire américain, en s’affranchissant désormais des sous-traitances mexicaines et asiatiques notamment. Moins coûteuse à l’export, les marchandises américaines pourraient facilement redevenir compétitives, même en Europe. Et, de leur côté, les consommateurs américains seraient fortement incités à racheter les produits faits maison par le jeu de sanctions douanières visant à restreindre au maximum l’entrée de produits étrangers sur le territoire des États-Unis.

Un paradigme économique incompatible avec une guerre des monnaies

Mais jusqu’où cela peut-il aller ? Et y aura-t-il finalement oui ou non une « guerre des monnaies » ? Évidemment, les déclaration de Steven Munchin, en faveur d’un dollar faible, ont pu sonner aux oreille de bien des économistes européens comme une sorte de déclaration de guerre visant à affaiblir l’Union européenne (et le reste du monde). Mais ce serait compter sans une réalité qui semble avoir été oubliée de presque tout le monde. Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui de la fin du XXe siècle, dans lequel les États (et même les banques centrales) pouvaient encore massivement manipuler les monnaies.

Aujourd’hui, et à plus forte raison depuis la crise de 2008, le prix des devises est d’abord et avant donc fixé par les marchés financiers du monde entier. Influencer ces marchés revient à influencer les monnaies, mais ce n’est pas évident de manipuler les marchés justement. Et il est rare qu’un État seul puisse se prévaloir d’une telle influence. D’ailleurs, suivant les pays, une même politique peut parfaitement donner des résultats totalement opposés quant à la progression des devises concernées.

Une même stratégie peut donner des résultats totalement opposés

Ainsi, alors que la réserve fédérale américaine est en train doucement mais surement de tourner la page de sa politique de quantitative easing, ce la se traduit par un effritement accéléré du dollar auprès d’investisseurs qui s’inquiètent de la fin de ce soutien monétaire devenu récurrent et qui représente désormais le tiers du PIB des États-Unis. Conséquence directe, privé de cette perfusion artificielle, le dollar inquiète et son cours s’effondre.

Or, dans le même temps, la Banque centrale européenne a elle aussi entamé une politique de désengagement similaire, estimant que l’économie de l’Union pouvait progressivement se passer d’elle. Mais là, la conséquence semble radicalement différente puisque, à défaut de remonter dans la confiance des investisseurs, la devise européenne semble tout au moins se maintenir, lui permettant du même coup de creuser l’écart à la hausse avec un billet vert en perdition. Mêmes causes, mais pas les mêmes effets. Le problème est donc bien plus complexe qu’un bête effet mécanique de vases communicants.

La question de la dette

Enfin, il reste le problème de la dette. À l’échelle de la planète, boostée par l’océan de liquidités déversées sans contreparties depuis des années par les banques centrales dans l’économie, la dette a littéralement explosé au point de représenter aujourd’hui 2 fois et demi le produit intérieur brut de la planète. Dit autrement, même si on parvenait à mobiliser toutes les richesses produites par le monde entier, on arriverait à peine à rembourser 40% de entendement créé.

L’économie mondiale est donc virtuellement surendettée et, même, avouons-le, objectivement en faillite. Sauf que la dette des États n’a rien de commun avec la dette d’un particulier ou d’une entreprise. D’abord parce qu’on ne s’attend pas à ce qu’un État paie sa dette. En fonction de la confiance qu’il inspire encore aux autres institutions financières (qui ne sont pas en meilleure forme que lui), on lui prêtera simplement de nouveau de l’argent pour combler la dette actuelle… quitte à en créer une nouvelle pour l’avenir. Et l’État étant « éternel » par essence, le temps (qui est de l’argent et qui constitue finalement ce que finance le crédit) n’a plus vraiment d’importance.

Des économies interdépendantes

Mais surtout, les économies comme les devises de tous les pays du monde sont désormais totalement, et irréductiblement, interconnectées au point que ce qui arrive à l’une peut durablement impacter les autres. Pour paraphraser les physiciens, on pourrait appeler cela de l’intrication financière. À tel point que l’échec patent d’une devise pourrait purement et simplement entraîner toutes les autres à leur perte et nuire à toutes les autres économies internationales.

Par exemple, la plupart des pays industrialisés disposent aujourd’hui d’une production domestique qu’ils tentent d’exporter dans les meilleures conditions. Mais la mondialisation aidant, 40 à 50 % de ce qui constitue ces productions « maisons » viennent de l’étranger (pièces détachées, savoir-faire, brevets…). De fait, une devise faible permet en effet d’exporter de manière plus avantageuses, mais oblige malheureusement aussi à importer plus cher. Au final, vendre « moins cher » quelque chose qui coûte en réalité « plus cher » à produire n’est pas forcément une bonne affaire.

Pour toutes ces raisons, il est peu probable qu’on assiste à une guerre des monnaies, en particulier entre l’euro et le dollar. Car, comme dans toute guerre, il n’y aura très probablement que des perdants, les « vainqueurs » étant juste ceux qui auront le moins perdu.

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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