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Évaluer le montant de l’épargne en or des Français relève de la quête du Graal !

La discrétion légendaire qui caractérise le détenteur d’or, la perméabilité des frontières, y compris dans les périodes de contrôle des changes et l’absence de données officielles dans de nombreux domaines, sont des obstacles majeurs à une étude sérieuse permettant d’approcher de la réalité, même si celle-ci, malgré tous les efforts, ne sera toujours qu’approximative.

Malgré tous ces obstacles, cette communication, à défaut de chercher à répondre de façon complète et précise, propose d’évaluer le montant maximum que l’épargne en monnaies d’or françaises pourrait éventuellement atteindre eu égard aux aléas documentés qui ont frappé les monnaies au fil des années.

Deux approches différentes sont proposées. L’une est construite sur une démarche statistique, l’autre sur le recensement des pertes ayant entraîné l’attrition progressive du stock de monnaies d’or françaises.

Le résultat final obtenu en confrontant les différents résultats de ces deux approches permet d’établir que le volume de monnaies d’or françaises ne dépasse pas 800 tonnes, soit seulement 20 % de l’ensemble des émissions réalisées depuis 1803.

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Dans une enquête restituée ici en quatre parties, nous vous proposons un regard inédit sur l’épargne or des Français ! Au long de cette deuxième partie, nous vous présentons notre première approche.

Méthode 1 : Estimation du volume de monnaies d’or disponibles par l’estimation d’un taux de perte annuel

Définir un point de départ fiable

Pour mettre en œuvre cette méthode en premier lieu, il est nécessaire d’avoir un point de départ très fiable même s’il existe quelques variations mineures sur les chiffres selon les sources. Compte tenu de l’importance des volumes d’émissions et de l’excellent niveau de la documentation sur cette époque, le choix se porte naturellement sur 1803 et le point de départ des frappes de monnaies d’or en francs germinal.

Découvrant ce choix, certains lecteurs pourraient s’émouvoir que seules les émissions de monnaies d’or en francs germinal depuis 1803 sont prises en compte alors que l’or monétaire circulait déjà bien avant la Révolution. En effet, avant la création du franc germinal par la loi du 7 germinal an XI (28 mars 1803) la monnaie française était déjà composée de pièces d’or (et d’argent). Le fait que soit décrétée une nouvelle norme pour le franc ne faisait pas disparaître pour autant soudainement la masse de monnaies préexistantes à 1803. 

Pourquoi dès lors se limiter à l’inventaire des émissions depuis 1803 ?

Le système décimal (1790) et le franc germinal (1803) ont remplacé le système monétaire de l’Ancien régime, construit sur une base duodécimale (numération en base 12) et un système à double unités monétaires (monnaie de compte et monnaie de règlement). En outre, la loi de 1803 instituait en France un système bimétalliste et en fixait les trois conditions suivantes : un rapport légal fixe entre les deux métaux, l’or ayant une valeur 15,5 fois supérieure à celle de l’argent, l’attribution à chacun des deux métaux du pouvoir libératoire illimité et la frappe libre de monnaies d’or et d’argent par l’État sur demande des particuliers. En d’autres termes, il suffisait à un particulier de fournir un lingot d’argent, par exemple, pour obtenir des monnaies d’argent. Cette disposition ne manquera pas de conduire à d’importants dérèglements monétaires qui seront évoqués plus loin.

Néanmoins cet ancien système monétaire n’a pas laissé une empreinte significative en terme de volume de monnaies. Les témoignages recueillis dans les archives d’époque sont éloquents sur ce point.     

À la séance du 30 mars 1829, lors des débats parlementaires sur le projet de loi relatif à la refonte et au retrait du cours forcé à compter de 1834 des monnaies de l’Ancien régime, le ministre des Finances révèle l’estimation de la Commission des monnaies sur le volume de monnaies anciennes en or toujours en circulation « il paraîtrait rester en circulation des monnaies d’or anciennes pour une somme de 603 694 665,32 F »[XIII]

Ce montant représentait environ 175 tonnes de fin. Le projet de loi avait précisément comme objectif de retirer ces monnaies anciennes de la circulation et d’utiliser dès lors leur matière pour la frappe de monnaies d’or en franc germinal. Néanmoins, le ministre de préciser que ce chiffre surévaluait très certainement la réalité car « … indépendamment de la dissémination des espèces à la suite d’une révolution et de guerres lointaines, une autre cause, peut être plus puissante encore, a contribué à réduire considérablement la masse des espèces d’or en circulation : des expériences récentes prouvent que les louis de 1786 contiennent comme alliage de 60 à 70 millièmes d’argent par kilogramme d’or. Le retrait de cette partie d’argent ayant offert au commerce des bénéfices assez considérables pour le porter à la refondre cette monnaie et la convertir en lingot, on est fondé à penser que la plus grande partie des anciennes monnaies d’or a disparu dans le creuset des affineurs. Ce fait est confirmé par l’observation de la commission des monnaies, que depuis longtemps les hôtels des monnaies ne reçoivent plus de louis de 1786. »

Ce commentaire est renforcé par celui du comte Mollien, rapporteur de la Commission des monnaies, qui affirme le 27 mai devant la Chambre des Pairs que  « … les monnaies duodécimales, depuis 1814, ont fourni une bonne partie du métal utilisé pour la frappe des nouvelles espèces. » [XIV]   

En juin 1843, le député Armand Lherbette interpellant le Commissaire du Roi Dumas[XV] s’interrogeait sur l’impact des activités de monnayage illimitées et les pratiques des « maisons de banque » qui ont depuis une vingtaine d’années « eu pour résultat de diminuer en France la quantité de l’or d’à peu près 7/8 et d’augmenter dans une proportion correspondante la quantité monétaire de l’argent ? ». Ce dernier confirmait son propos.

Un calcul réalisé dans un premier temps sur une base volontairement optimiste en gardant – malgré le commentaire du ministre des Finances – l’évaluation de 1829 de 175 tonnes de monnaies d’or de monnaies duodécimales pour 1843 et en y ajoutant le volume des émissions de monnaies d’or de 1803 à 1843 soit 576 tonnes d’or fin met en évidence une perte importante de 657 tonnes d’or et un stock d’or monétaire de seulement 94 tonnes dans l’Hexagone. 

Le même calcul réalisé avec les seules monnaies germinales aboutit à un scenario encore plus inquiétant dans lequel le stock d’or monétaire français aurait été réduit à 72 tonnes en 1843.

La conclusion est donc sans appel : l’existence des monnaies d’or anciennes est insignifiante dès la période 1840-1850 et a fortiori pour le XXe siècle. Dès lors, celles-ci sont ignorées dans la méthode proposée.

Estimation du volume de monnaies d’or françaises « survivantes » en 2020.

Comme argumenté plus haut, seul a été retenu le nombre de monnaies or françaises frappées et mises en circulation depuis 1803 pour chaque valeur nominale (de 5F à 100F) et pour chaque millésime d’émission depuis l’instauration du Franc germinal et ceci jusqu’à la fin des émissions, c’est-à-dire en 1959, bien que les pièces qui ont été introduites sur le marché dans la deuxième moitié du XXe siècle par le Fonds de stabilisation des changes[XVI] n’étaient pas légalement émises (jeton Pinay émis de 1952 à 1959 reproduisant la monnaie de 20F Marianne-Coq de 1907 à 1914).

Plusieurs sources littéraires font l’inventaire des émissions : 

  • « le Franc » de CGB, 
  • « le Bréviaire de la Numismatique Française Moderne » de Jean-Marie Leconte,
  • « L’Union Monétaire Latine » d’Albert Niederer. 

Pour cette démarche, les deux premières ont été utilisées.

L’ouvrage de Niederer, « L’Union Monétaire Latine », recense l’ensemble des monnaies des pays membres de la convention d’union monétaire. Les monnaies des pays de la convention pouvaient circuler en France. Cet ouvrage est donc intéressant pour estimer les poids respectifs des masses d’or monétaire étranger de l’Union et mettre en évidence l’importance de l’or monétaire français dans cette union : 87,5 % de l’or de l’Union latine.  

Cette première méthode va dès lors consister à appliquer aux émissions de monnaies un coefficient annuel, obtenu par une étude statistique, correspondant à une estimation du pourcentage de disparitions par fonte, par usure (ou frai) ou par perte de pièces d’une valeur nominale donnée et d’un millésime donné. 

Ainsi, par exemple, si sur un stock de 1.000.000 de pièces de 20F de 1852 il est retenu que 1 % de ces pièces disparaissent définitivement chaque année il sera possible de calculer combien survivent après 50, 100 ou N années :

Au bout d’un an : 1 000 000 – (1 % x 1000 000) soit 1000 000 x (1-1%)

Au bout de 2 ans : [1000 000 x (1-1%)]x(1-1%) = 1000 000 x (1-1%)²

….

Et donc au bout de N années : 1000 000 x (1-1%)N

Le coefficient dit de survivance, soit ici (1-1%), est déterminé en réalisant des enquêtes statistiques sur la masse monétaire métallique en circulation permettant ainsi d’étendre à la « population » globale des pièces les conclusions obtenues sur l’échantillon contrôlé.

Par chance, le directeur de l’Administration des Monnaies de Paris, Alfred de Foville, a fait réaliser en 1878, 1885, 1891, 1897, 1903  et 1909 des recensements monétaires auprès de 30.000 caisses publiques.

Ces recensements ont permis de définir statistiquement les coefficients de survivance des monnaies d’or en usage à l’époque[XVII]

Pour notre estimation la moyenne de ces coefficients, pour un type donné de pièce, a été retenue.

La mise en œuvre est un peu fastidieuse car elle nécessite de saisir beaucoup de données (de 1800 à 1914 principalement, pour 6 types de pièces). Néanmoins un tableur permet aisément de simuler la survivance de toutes les pièces à une date donnée. Certes la démarche est arbitraire puisqu’on applique un coefficient sur une longue période sans prendre en compte les événements majeurs  survenant et ayant une forte influence sur la population monétaire métallique (1870, 1914, 1940, etc .), ni les démonétisations partielles réalisées par la Banque de France (certaines sont cependant notées dans les ouvrages mentionnés plus haut).

Cette approche a un autre biais. En effet, retenir un coefficient unique par type de pièce d’un bout à l’autre de la période ne prend pas en compte la rupture qui s’est produite à partir de 1914 dans le rapport des Français avec les monnaies d’or. Jusqu’à 1914 les monnaies d’or et d’argent étaient utilisées dans le quotidien des Français. Dès le 28 juillet 1914 la Banque de France cessait les remboursements en or des billets qui lui seraient présentés et le gouvernement faisait appel au patriotisme des Français pour qu’ils échangent leur épargne en or contre des billets. Désormais l’or ne réapparaîtra plus dans les échanges entre Français. L’épargne en or entrait dans la clandestinité et cette situation se renforcera avec l’épisode 1939-1945.

Aussi pour prendre en compte cette rupture, et de façon arbitraire, j’ai complété la simulation initiale (qui utilise des coefficients uniques de bout en bout pour chaque type de pièces) par une simulation prenant en compte des coefficients de survivance supérieurs. Ceci devrait permettre d’offrir une fourchette dans laquelle devrait se situer la réalité.

Les résultats obtenus sont représentés graphiquement ci-dessous pour la période 1870 à 2020[XVIII]. Ces résultats inclus toutes les monnaies françaises encore existantes, c’est-à-dire en circulation dans l’Hexagone, retenues dans les coffres de la Banque de France et détenues à l’étranger. En résumé, le résultat recouvre le stock total, et théorique, de monnaies françaises accessibles à la date du calcul.

Tous les calculs et leurs représentations sont réalisés et affichés en tonnes d’or fin. Sachant que, du fait des dévaluations monétaires nombreuses depuis 1918, le prix de l’or a évolué fortement, réaliser une étude en francs ou en dollars américains relèverait le niveau de difficulté et aurait peu de signification pour des comparaisons entre dates.

La ligne épaisse et noire représente l’évolution du tonnage d’or monétaire émis y compris le tonnage de jetons Pinay commercialisés entre 1952 et 1959.

La ligne en pointillés verts représente l’évolution du tonnage d’or monétaire survivant prenant en compte un taux de survivance constant de 1800 à 2020, celle en bleue prend en compte un taux différent et plus avantageux (en termes de survie) à partir de 1950.

Les étoiles rouges reliées par des pointillés rouges représentent les recensements monétaires réalisés sous l’autorité de monsieur de Foville. Il est intéressant de noter que ces marqueurs sont en cohérence avec les courbes bleue et verte, ce qui apporte une certaine crédibilité aux taux de survivance retenus, du moins pour la période allant approximativement jusqu’aux années 1950.

Enfin, ces recensements monétaires avaient révélé une autre information importante. Il s’agit du taux de monnaies étrangères présentes dans le recensement. Pour les monnaies étrangères de même valeur nominale que la 20F et la 10F or, le taux était en moyenne de 11,62 %. Dès lors, les résultats de la simulation ci-dessus peuvent être complétés en y ajoutant cette participation, sachant qu’en l’appliquant au stock théorique obtenu par ce calcul, le résultat est majoré.

Pour la simulation utilisant un taux de survivance constant jusqu’en 2020, le volume de monnaies d’or françaises et étrangères encore présentes aujourd’hui est évalué à 571 tonnes.

Quant à la simulation utilisant un taux de survivance supérieur de 1950 à 2020 le volume de monnaies d’or françaises et étrangères encore présentes aujourd’hui est évalué à 1166 tonnes, retenons environ 1200 tonnes.

Dans le troisième volet de notre enquête, à paraître vendredi 28 juillet, nous vous présenterons notre deuxième approche.


[XIII] La Gazette nationale ou le Moniteur universel, 18 avril 1829, n°108 (séance du 30 mars 1829).

[XIV] La Gazette nationale ou le Moniteur universel (page 852-853).

[XV] La Gazette nationale ou le Moniteur universel, 2 juin 1843.

[XVI] Extrait de wikipedia : « En 1936, l’État confie à la Banque de France la gestion du Fonds de stabilisation des changes (FSC), créé par la loi du 1er octobre 1936. Ce Fonds n’a pas d’existence physique, il n’a même pas la personnalité juridique : c’est une simple institution comptable, que la Banque gère pour le compte de l’État et dans le cadre des instructions générales du ministre de l’Économie et des Finances. … Conçu à l’origine pour faire respecter les limites légales imposées aux fluctuations du franc, le Fonds poursuivit son rôle régulateur sous le régime des changes flottants adopté en 1936. »

[XVII] Pour une description complète de la théorie mathématique sur laquelle s’appuie la méthode, lire « The Lifetime of Coins in Circulation » de T. J. COLE paru dans The Numismatic Chronicle (1966-), Seventh Series, Vol. 16 (136) (1976), pp. 201-218 (18 pages). https://www.jstor.org/stable/42664796.

[XVIII] 2020 a été retenue pour une raison pratique au lieu de 2023 ; le résultat n’en sera pas significativement différent.

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Yannick Colleu
Yannick Colleu a découvert les métaux précieux après l'éclatement de la bulle Internet en 2000. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : "Investir dans les métaux précieux" et "Guide d'investissement sur le marché de l'or". Il est notamment reconnu pour son expertise sur la fiscalité et intervient régulièrement lors des événements annuels d'AuCOFFRE.com.

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