L’or et l’Inde. Une histoire d’amour. Reportage

par | 11 Avr 2009 | Inde, Or | 0 commentaires

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L’or est tellement apprĂ©ciĂ© en Asie, et plus particuliĂšrement en Inde, que la saison des mariages en automne arrive Ă  faire bouger trĂšs sensiblement le cours de l’or mondial (cf cet article). L’Inde et l’or, c’est une vĂ©ritable histoire d’amour vieille de plusieurs siĂšcles. Reportage.

L’or, on le trouve sous toutes ses formes depuis des siĂšcles au cƓur de l’Inde. Les riches et les pauvres le portent, le vĂ©nĂšrent et l’échangent. Ils ne jurent que par lui, ils meurent par lui. Sans Ăąge, indestructible, toujours changeant, l’or est l’obsession de l’Inde.

Les piĂšces d'or frappĂ©es Ă  l’image de Lakshmi, la dĂ©esse de la fortune et de la prospĂ©ritĂ©, sont parmi les cadeaux les plus populaires en Inde

Les piĂšces d'or frappĂ©es Ă  l’image de Lakshmi, la dĂ©esse de la fortune et de la prospĂ©ritĂ©, sont parmi les cadeaux les plus populaires en Inde

L’Inde, une foule gigantesque, le paradis des sens, un miracle bouillonnant. Avec prĂšs d’un milliard d’habitants, l’Inde est, aprĂšs la Chine, le pays le plus peuplĂ© de la planĂšte. Nous sommes dĂ©but novembre, l’organisation du plus grand festival de l’annĂ©e bat son plein. Le Diwali, le festival des lumiĂšres, marque un moment de cĂ©lĂ©bration oĂč les familles se retrouvent et Ă©changent des cadeaux. Le plus apprĂ©ciĂ© d’entre eux, l’or.

On croirait que les trois millions d’orfĂšvres que compte le pays s’y sont tous mis pour produire des chaĂźnes, des bracelets, des pendentifs, des colliers ou quelque bijou que ce soit. Les piĂšces frappĂ©es Ă  l’image de Lakshmi, la dĂ©esse de la fortune et de la prospĂ©ritĂ©, sont parmi les cadeaux les plus populaires. En Inde, l’or fait partie intĂ©grante de la vie sociale et religieuse.

Les hindous se rassemblent dans les lieux saints et les temps pour rendre grĂące Ă  Lakshmi. Femme de Vishnu, le protecteur du monde, Lakshmi est une incarnation de la dĂ©esse mĂšre. La lĂ©gende rapporte qu’elle est nĂ©e rayonnante et adulte de l’écume de la mer. L’adoration classique ou puja requiert une priĂšre, des cadeaux ou des fleurs et de l’argent. L’adorateur reçoit ensuite un peu de nourriture bĂ©nie par la dĂ©esse.

Ce soir, Lakshmi battra la campagne Ă  la recherche d’une lumiĂšre dans le noir et d’un endroit pour s’établir l’annĂ©e qui vient. A cette intention, les maisons sont nettoyĂ©es et l’air est purifiĂ© avec de l’encens. Un petit autel Ă  son effigie est dĂ©corĂ© d’offrandes, de friandises, de fleurs et d’argent.

Ce soir, une piĂšce d’or frappĂ©e pour l’occasion sera plongĂ©e dans un verre de lait de vache, la boisson des dieux.

Timothy S. Green, auteur du livre « Le monde de l’or » : « Ce qui vous frappe la premiĂšre fois que vous allez en Inde, c’est l’influence qu’a l’or dans la vie de tous les jours. Si vous vivez dans un petit village loin de la ville, vous ignorez tout des banques, de la bourse mais vous obtenez une bonne rĂ©colte et vous gagnez un peu d’argent. Qu’est-ce que vous faites ? Eh bien, vous allez chez l’orfĂšvre du coin parce qu’il n’y a pas de banques et vous achetez quelques bijoux. C’est un signe clair que les affaires et la famille vont bien et c’est aussi une assurance. Et si la prochaine rĂ©colte est mauvaise ou que vos enfants tombent malades et que vous avez besoin d’un peu d’argent, vous retournez vendre votre bijou chez l’orfĂšvre et vous pouvez acheter des mĂ©dicaments ou quoi que ce soit.»

En inde, vous allez chez l’orfùvre du coin parce qu’il n’y a pas de banques et vous achetez quelques bijoux

En inde, vous allez chez l’orfùvre du coin parce qu’il n’y a pas de banques et vous achetez quelques bijoux

L’or Ă  22 carats est rachetĂ© au taux du jour. Puis, il est refondu dans un four. PrĂšs de 200 tonnes sont ainsi recyclĂ©es chaque annĂ©e et l’or rĂ©apparaĂźt au beau milieu d’un mariage.

La tradition exige au moins un collier, deux bracelets, une bague et une paire de boucles d’oreilles, tous en or 22 carats.

L’or accompagne les Indiens pendant toute leur vie, mais c’est lors des mariages hindous qu’il trouve sa consĂ©cration. En Inde, on juge encore le statut social d’une famille d’aprĂšs le montant d’or figurant dans la dot. Aujourd’hui, 3 000 personnes sont venues de tout le pays pour une fĂȘte qui durera quatre jours. L’or est omniprĂ©sent. On estime Ă  7 000 tonnes l’or dĂ©tenu par des particuliers en Inde. C’est une part essentielle de la vie et de ses rituels pour les riches comme pour les pauvres.

Bindou Madhav est l’un des plus riches vendeurs d’or du pays. C’est aujourd’hui le mariage de sa fille, une occasion rĂȘvĂ©e. Une chose est sĂ»re, l’or ne manquera pas. On le retrouve mĂȘme dans les fils de son sari. La mariĂ©e porte en moyenne jusqu’à 200 grammes d’or, mais ceci n’est pas un mariage ordinaire.

L’Inde a absorbĂ© beaucoup de mĂ©taux prĂ©cieux pendant des siĂšcles, mais rĂ©cemment la demande d’or a explosĂ©. De nos jours, environ 800 tonnes d’or y sont consommĂ©es chaque annĂ©e, bien plus que les autres gros consommateurs, les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite ou l’Italie.

« En Inde, la consommation d’or neuf reprĂ©sente environ 20% de l’or minier extrait chaque annĂ©e, c’est plus que tout autre pays. Cela ne changera pas Ă  court terme, il est trĂšs intĂ©ressant de constater que l’importation lĂ©gale de l’or est trĂšs rĂ©cente. Jusqu’au dĂ©but des annĂ©es 90, il entrait en fraude. »

Comme beaucoup de pays aprĂšs la deuxiĂšme guerre mondiale, l’Inde a interdit l’importation d’or. C’était considĂ©rĂ© comme gĂącher de prĂ©cieuses devises, mais la demande a enrichi les contrebandiers. Beaucoup d’or arrivait dans des vestes de toile portĂ©es sous les chemises, un bon passeur pouvait emporter 25 ou 30 kilos.

Ce systĂšme d’envoi fonctionnait trĂšs bien surtout depuis l’Europe de l’Ouest. Les passeurs Ă©taient entraĂźnĂ©s Ă  rester assis pendant huit heures sur un siĂšge d’avion et Ă  se lever avec facilitĂ©. Mais le renforcement de la sĂ©curitĂ© dans les aĂ©roports a contraint les contrebandiers Ă  imaginer de nouvelles solutions pour amener cet or.

Dans les annĂ©es 90, l’Inde a autorisĂ© Ă  nouveau l’importation de l’or avec de lĂ©gĂšres taxes, mais cela n’a pas suffi. Bien qu’il ne reprĂ©sente plus qu’une petite part de ce qui entrait illĂ©galement dans les annĂ©es 70 et 80, l’or est toujours le plus important article de contrebande en Inde. Une grande partie arrive par la mer via le port de Bombay.

A.S. Sidhu, directorat pour l’Ă©tude des revenus : « Cela reste l’objet le plus trafiquĂ©. Environ 100 tonnes d’or sont entrĂ©es illĂ©galement en Inde ces deux derniĂšres annĂ©es, gĂ©nĂ©ralement de DubaĂŻ, de Hong-Kong, de Singapour, de ThaĂŻlande et un petit pourcentage de Turquie. »

Un contrebandier russe et sa ceinture contenant des petits lingots d'or, des "biscuits"

Un contrebandier russe et sa ceinture contenant des petits lingots d'or, des "biscuits"

«Levez votre chemise, levez ! » Ces deux marins russes arrĂȘtĂ©s par les douanes de Bombay reprĂ©sentent la nouvelle tendance d’un trafic incluant des bateaux de l’ex-bloc soviĂ©tique. On peut y camoufler facilement de grosses quantitĂ©s d’or, mais le dĂ©barquement est risquĂ©.

Cette saisie de dix petits lingots, des biscuits comme on les appelle, reprĂ©sente quelque 20 000 dollars et en aurait rapportĂ© Ă  chacun des passeurs Ă  peine mille. La plupart de l’or qui arrive en Inde termine en bijoux dans une forme plus pure qu’en occident, car ce n’est pas une mode mais bien un investissement. Ici, il est pur Ă  plus de 90% contre 50 Ă  75% en AmĂ©rique et en Europe.

A la revente, la pureté est vérifiée sur une pierre de touche, un morceau de jaspe en grains fins légÚrement abrasif. Frottée au métal, elle révÚle une couleur définie dans une gamme standard.

La demande annuelle en or est dictĂ©e par la mousson et par la saison des mariages. Une bonne rĂ©colte, c’est plus de mariages, car les fermiers changent leurs bĂ©nĂ©fices en or. Aussi importante est la longueur de la saison des mariages qui peut durer de novembre Ă  mai. Si les signes astrologiques sont favorables, une bonne annĂ©e peut voir dix millions de mariages avec l’or en vedette. Mais tous les douze ans, quand Jupiter entre dans le lion, les hindous ne se marient pas.

Alors qu’en occident l’or est travaillĂ© mĂ©caniquement, en Inde, les techniques sont inchangĂ©es depuis des siĂšcles. Ces chefs-d’Ɠuvre de dĂ©licatesse proviennent d’ateliers surchauffĂ©s et bondĂ©s.

Le plus grand monument indien dĂ©diĂ© Ă  l’or se situe peut-ĂȘtre prĂšs de la frontiĂšre nord avec le Pakistan, dans la capitale sikhe d’Amritsar. Il y a cinq siĂšcles, les sikhs renoncĂšrent aux ornements extĂ©rieurs de l’hindouisme pour une vie d’austĂ©ritĂ©. Mais cette absence d’ornement dans leur apparence fut compensĂ©e dans leur temple le plus sacrĂ©, Harmandir, le Temple de l’Or. Ici, l’or transcende le matĂ©rialisme.

Dr Chahan Singh Chan, historien : « Les hindous et les musulmans portent beaucoup d’or, pas les sikhs. C’est un style de vie qui s’est perpĂ©tuĂ©. »

Le Sikhisme est nĂ© des enseignements de Nanak, un gourou qui prĂȘchait : il n’y a pas d’hindous, il n’y a pas de musulmans. Sans vouloir insulter les religions, il ne faisait que transcender la bigoterie et la discrimination. A vingt-sept ans, il voyagea pour rĂ©pandre le message essentiel de l’unicitĂ© de l’espĂšce humaine. Il convertit des hommes et des femmes par son message de paix et de foi. Ils devinrent ses disciples, en sanscrit sesya qui donna le mot sikh.

Dr Chahan Singh Chan : « Les sikhs ont appris le dĂ©sintĂ©ressement. Ils donneraient tout l’or du monde au Tempe d’Or. C’est le don suprĂȘme pour eux. Le maharajah Ranjit Singh utilisa 200 tonnes 22 carats pour recouvrir le Temps d’Or. Aujourd’hui, cent cinquante ans plus tard, une organisation sikhe a dĂ©cidĂ© d’effectuer Ă  nouveau le travail. »

L’or est fixĂ© aux parois en plaques doublĂ©es de cuivre pour le renforcer. Les anciennes techniques d’alliage de l’or et du cuivre Ă©taient primitives. Le cuivre s’est corrodĂ© et l’or s’est Ă©caillĂ©.

Dr Chahan Singh Chan : « Il y avait trĂšs peu Ă  rĂ©cupĂ©rer, le mĂ©tal Ă©tait corrodĂ© et il n’y avait pas de techniques permettant de bien coupler l’or et le cuivre. Maintenant, il y a des spĂ©cialistes. Le chef m’a racontĂ© qu’ils ont rĂ©coltĂ© et utilisĂ© 300 tonnes d’or.  J’ai voyagĂ© partout, mais je n’ai jamais rien vu de tel. C’est le Dieu de la CrĂ©ation qui t’a conçu et t’a bĂ©ni dans la gloire. Nous savons que l’or est un mĂ©tal trĂšs rĂ©sistant, il brillera pour toujours. Au moins, deux mille ans. »

Les propriĂ©tĂ©s remarquables de l’or l’ont conduit depuis des siĂšcles Ă  des usages plus matĂ©rialistes. Les alchimistes ont toujours prĂ©tendu que l’or avait des vertus curatives. Des textes vieux de trois mille ans dĂ©crivent comment on l’utilisait comme stimulant cardiaque et nerveux ou comme remĂšde Ă  la migraine, Ă  l’impuissance ou au rhumatisme chronique.

Le mélange a base de poudre d'or des médicaments ayurvédiques

Le mélange a base de poudre d'or des médicaments ayurvédiques

L’or continue Ă  jouer un rĂŽle important dans la mĂ©decine d’aujourd’hui, plus de deux tonnes sont utilisĂ©es chaque annĂ©e dans la fabrication de mĂ©dicaments ayurvĂ©diques. Il y a cent cinquante ans, Zandu Bhattji, le mĂ©decin en chef du maharajah de Jamnagar crĂ©a un laboratoire pour produire en masse ces mĂ©dicaments. Il rĂȘvait de distribuer les bienfaits de l’Ayurveda au peuple. GrĂące Ă  ses succĂšs, la Zandu Pharmaceutical Works naquit Ă  Bombay en 1910 et est maintenant le plus important laboratoire de mĂ©dicaments ayurvĂ©diques d’Inde.

La plupart des mĂ©dicaments sont faits Ă  base de racines et d’herbes, onze composĂ©s contiennent de l’or. Afin que le corps l’assimile bien, l’or subit une longue et une complexe prĂ©paration. Il faut d’abord qu’il soit trĂšs pur, il s’agit essentiellement de le rĂ©duire en particules les plus petites possible. On prend dix morceaux, on les roule finement et on les coupe en lamelles. L’or est ensuite broyĂ© et dissout dans du mercure. On rajoute du soufre. La poudre obtenue est scellĂ©e dans des pots d’argile que l’on place dans un four Ă  haute tempĂ©rature.

Une fois refroidie, la poudre obtenue est Ă  nouveau pilĂ©e puis augmentĂ©e de gypse, puis elle retourne au four. Ce cycle de pilage et de chauffage est rĂ©pĂ©tĂ© cent cinquante fois pendant six mois jusqu’à l’obtention d’une poudre surfine.

AprĂšs des heures de prĂ©paration, les futurs jeunes mariĂ©s sont rĂ©unis au moment culminant de la cĂ©rĂ©monie. Rien n’est louĂ© ou empruntĂ©, l’or de la mariĂ©e lui appartient exclusivement, c’est une sĂ©curitĂ© contre les incertitudes du futur. Quand le rideau s’abaisse, les futurs Ă©poux se mettent face Ă  face. Traditionnellement, c’est la premiĂšre fois qu’ils se voient.

AprĂšs l’échange des guirlandes de fleurs, l’équivalent des alliances, c’est l’échange des vƓux Ă  l’aide d’une ceinture incrustĂ©e d’or. Les mariĂ©s effectuent ensuite sept fois le tour du feu sacrĂ© en se faisant sept promesses solennelles. La bĂ©nĂ©diction de la jeune fille par son pĂšre signifie qu’il la cĂšde dĂ©finitivement Ă  son mari. DorĂ©navant, l’or unit les deux familles Ă  tout jamais, de la mĂȘme maniĂšre qu’il unit les passions et la destinĂ©e de l’Inde entiĂšre.

Reportage de Mark Verkerk et André Janse pour France5. En VOD sur Vodeo.tv
Transcription : ABW pour LORetLARGENT.info

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Faure, Jean-François
Jean-François Faure. PrĂ©sident d’AuCOFFRE.com. Voir la biographie.

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