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Une ruée vers l’or inspirée par Le comte de Monte-Cristo, des rêves de fortunes fabuleuses attirant des prospecteurs anonymes mais aussi Rockfeller et le fondateur de la dynastie Trump, des catastrophes en série faisant passer en quelques années le site de ville champignon à ville fantôme : c’est l’histoire vraie, digne des plus grands romans d’Alexandre Dumas, de la ville de Monte Cristo.

Le développement accéléré de Monte Cristo, typique des villes champignons de la ruée vers l’or, ne va pas faire illusion très longtemps. Deux problèmes majeurs, ignorés ou sous-estimés par les promoteurs du projet, apparaissent rapidement : la ville ne s’en remettra pas.

En premier lieu, et c’est déjà bien ennuyeux, le sous-sol de la vallée ne tient pas ses promesses. Alors que les géologues prédisaient que, en s’enfonçant dans le flanc des montagnes, les gisements des différents métaux iraient en s’enrichissant, c’est tout le contraire qui se passe : plus les mineurs pénètrent la roche, plus les veines s’appauvrissent.

Quand l’hiver arrive…

En deuxième lieu, et c’est peut-être le pire : le climat et l’isolement de la vallée se révèlent bien pires que prévu. Les pionniers des débuts savaient bien que les hivers de Monte Cristo étaient rudes, mais personne n’avait mesuré à quel point avant que l’on n’y ouvre une installation permanente. Concrètement, la vallée est enfouie chaque hiver pendant plusieurs mois sous quatre mètres de neige ou plus. Des avalanches viennent sans crier gare tout ravager sur leur passage. Il n’est pas rare que les mineurs qui passent l’hiver à Monte Cristo constatent que la ligne de « téléphérique » qui desservait leur mine a purement et simplement disparu pendant la nuit… Dans la ville elle-même, le poids de la neige qui s’entasse sur les toits des bâtiments restés inoccupés pendant l’hiver les aplatit comme crêpes le printemps venu. On en arrive à  laisser des hommes sur place avec comme mission de dégager la neige à la pelle au fur et à mesure. Ces hivers sont tellement redoutables, en fait, que l’on finit par creuser des tunnels entre les mines pour éviter aux ouvriers d’avoir à sortir à l’air libre. 

Et ce n’est pas forcément mieux le reste de l’année. Au printemps et à l’automne, des pluies diluviennes s’abattent, suscitant inondations et glissements de terrain. Un phénomène caractéristique de la région fait des ravages: la succession très rapide de fortes chutes de neige suivies de vents chauds. La neige fond immédiatement, et de paisibles ruisseaux se transforment en torrents dévastateurs à l’incroyable puissance destructrice. Il est arrivé que l’on retrouve des rails de la voie de chemin de fer enroulés autour de troncs d’arbres ! 

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Monte Cristo ruée vers l'or

Soumise à un tel traitement, la voie ferrée ne résiste pas. Ses tunnels s’effondrent sans cesse, la gorge le long de laquelle elle serpente devient chaque hiver un piège redoutable. Chaque année, il faut reconstruire des portions entières de la voie. A tel point que, fin 1897, la compagnie qui exploite le chemin de fer prend une décision radicale : elle annonce qu’elle ne rouvrira pas la ligne après l’hiver ! L’équivalent d’une condamnation à mort pour Monte-Cristo. Les mines cessent leurs activités, la ville se vide. 

Le tourisme pour sauver les meubles ?

Tout le monde ne baisse pas les bras pour autant, vu les intérêts en jeu. De grandes manoeuvres financières se déroulent. Rockefeller rachète une grande partie des mines puis revend tout. La voie ferrée est remise en état et reprend du service en 1900. Une autre grande famille de l’industrie américaine, les Guggenheim, prend à son tour le contrôle des mines. Une nouvelle activité économique apparaît : le tourisme. On voit des habitants des petites villes de la côte du Pacifique prendre le train pour venir passer un dimanche dans cette vallée célèbre pour ses paysages grandioses.

Mais les problèmes de fond demeurent et les mines ferment de nouveau dès 1903. S’ensuit une période de hauts et bas incessants : ventes et rachats des compagnies minières, ouvertures et fermetures des mines et de la voie ferrée… La ville décline petit à petit. En 1920, la toute dernière mine encore en activité ferme définitivement, et la voie ferrée fait de même en 1933. 

Un bien mauvais coût

La ville champignon des chercheurs d’or devient, comme bien d’autres avant elle, une ville fantôme. Les rêves de richesses illimitées auront coûté bien cher… Mis à part peut-être le grand-père Trump et ses semblables, personne n’aura fait fortune à Monte Cristo. Bien au contraire, les différents groupes financiers qui y ont investi ont vu leurs fonds s’évaporer. L’historien de la ville Philip Woodhouse estime le coût de la voie ferrée à 2 millions de dollars de l’époque (environ 70 millions de dollars d’aujourd’hui) et celui des investissements dans les quatre premières mines à 400 000 dollars. A quoi il faut ajouter les sommes considérables englouties dans l’équipement de la vallée, les dispositifs de transport et de traitement des minerais et l’édification de la ville elle-même. Face à cette facture de plusieurs millions de dollars, la production minière cumulée de Monte Cristo n’aurait pas dépassé 1 million de dollars en tout selon le même auteur… 

Monte Cristo ruée vers l'or

En dépit de ce désastre financier, de la fermeture des mines et de la disparition du service ferroviaire, la vie ne se retire pas complètement de Monte Cristo. En 1941, les derniers rails sont déposés et une route de graviers est aménagée à la place de la voie ferrée. Monte Cristo devient alors l’été un centre d’excursions et d’escalade qui attire les vacanciers sportifs. L’hiver, la vallée redevient aussi déserte qu’avant la ruée vers l’or.

Comme si cela ne suffisait pas, en 1980 des inondations encore plus sévères que d’habitude emportent la route, qui, depuis, n’a pas été reconstruite. On ne peut plus atteindre Monte Cristo qu’à pied ou en VTT. La vallée a retrouvé sa sauvagerie d’il y a 120 ans.

Des passionnés oeuvrent toutefois à préserver le souvenir de cette belle page de la légende de l’Ouest américain et de la ruée vers l’or. Tout récemment, en 2019, ils ont déposé une plaque commémorative sur la tombe de Martin Comins, grand personnage de la ville, baptisé « Duc de Monte-Cristo » par ses camarades. Un mineur de la ruée vers l’or devenu « duc de Monte-Cristo » au fin fond des montagnes Rocheuses, Alexandre Dumas aurait-il pu rêver hommage aussi extravagant à son immortel roman?

Partie 1 – L’envol – à lire ici

Partie 2 – L’apogée – à lire ici

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Patrick de Jacquelot
Patrick de Jacquelot est journaliste, spécialiste des oeuvres littéraires inspirées par Alexandre Dumas. Il en présente des centaines sur son site « Alexandre Dumas, suites, plagiats, pastiches, hommages et bandes dessinées »

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