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Dans la nuit du 7 juin 1708, lors de la « bataille de Baru », le galion espagnol San José est coulé par des navires britanniques au large de la ville de Carthagène (aujourd’hui en Colombie). Outre la mort de la presque totalité de l’équipage (11 survivants sur 600 marins environ), ce sont près de 200 tonnes d’or, d’argent et d’émeraudes qui sombrent avec lui. Cette fortune, qui provenait de plusieurs colonies espagnoles d’Amérique du Sud, était destinée au roi Felipe V, alors en pleine guerre de succession pour le trône d’Espagne (1702-1714). La valeur de ces trésors était si importante que leur arrivée aurait pu bouleverser le cours du conflit en Europe.

Une traversée à haut risque

Pour rapporter en Espagne les trésors extraits de leurs colonies sud-américaines, les Espagnols organisaient périodiquement des convois de galions, protégés des pirates et autres prédateurs des mers, par des vaisseaux de guerre. En ce printemps 1708, ce convoi, exceptionnel par les richesses qu’il transporte, se compose de 14 navires marchands et de trois navires de guerre espagnols dont le San José, un trois-mâts de 64 canons, lancé en 1698. Ce convoi est parti de Portobello, aujourd’hui au Panama, pour rejoindre un convoi encore plus important qui les attendait à La Havane pour traverser ensuite l’Atlantique. Mais il est pris à partie le 7 juin 1708 par une escadre britannique de quatre navires commandés par Charles Wager. Le commandant de la flotte espagnole, Jose Fernandez de Santillan, avait été informé de la présence des Britanniques, à l’affut dans ce secteur, mais le temps lui était compté, car, d’une part, la saison des ouragans approchait et, d’autre part, le responsable du convoi, à La Havane, menaçait de partir sans eux.

Plan du San José.

La bataille du 7 juin 1708 est très violente et durera jusqu’au lendemain matin. Mais, au final, le résultat n’est pas celui espéré par les Britanniques. L’essentiel des navires réussit à se mettre à l’abri dans le port espagnol de Carthagène des Indes, l’un fut incendié par son équipage pour ne pas avoir à se rendre et un seul fut capturé qui contenait peu d’argent. Restait le San José. En fait, vaisseau amiral du convoi, les Britanniques avaient bien identifié que c’est lui qui devait détenir les plus grandes richesses. Ils engagèrent le combat vers 19h dans le but de le prendre à l’abordage lorsque, ses soutes à poudre ayant été touchées, il explose et coule en quelques instants.

Une fortune au fond de la mer

Très rapidement, le contenu du navire, qui repose maintenant à près de 1000 mètres de fond, est connu. Et les chasseurs d’épaves vont se casser les dents durant des siècles sans pouvoir repérer le lieu précis de son naufrage. Estimé à plus de 20 milliards de dollars, le trésor qu’il contient vient, en grande partie, des mines de Potosi, en actuelle Bolivie.

Il semblerait que ce soit en 1981 que l’épave ait été, enfin, localisée avec précision. Du moins est-ce ce que prétend la société américaine « Sea Search Armada » (SSA), spécialisée dans la recherche d’épaves, qui affirme avoir dépensé plus de 10 millions de dollars pour effectuer ce travail. Mais cela avait tourné court car le gouvernement colombien aurait refusé le marché proposé par cette société pour remonter ce trésor : 65 % pour SSA et 35% pour la Colombie. Bien entendu, cette décision a ouvert une longue phase judiciaire d’abord devant les tribunaux colombiens, puis américains. Durant cette période, les autorités judiciaires colombiennes auraient interdit au gouvernement colombien d’effectuer ses propres recherches.

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L’ultime expédition ?

Pourtant, le 27 novembre 2015, le gouvernement colombien annonce avoir localisé l’épave. Étrangement, cette annonce intervient alors que la phase judiciaire initiale semble s’être achevée. Cette découverte est officiellement relayée par un tweet du président colombien de l’époque, Juan Manuel Santos. Il avait alors déclaré que c’était « le trésor le plus précieux jamais découvert dans l’histoire de l’humanité ». Son identification est certifiée grâce à ses canons de bronze, sur lesquels sont gravés des dauphins. Pour ce faire, la marine colombienne indique avoir construit un engin d’exploration sous-marine capable de descendre à cette profondeur et avoir mené quatre expéditions. L’ancien président avait alors envisagé de financer l’opération de sauvetage par la vente, postérieure, d’une partie des découvertes. Mais Ivan Duque, qui lui succéda, gela immédiatement les marchés en cours de signature avec des sociétés privées pour s’assurer que l’intégralité des découvertes resteraient bien en Colombie.

Mais la bataille juridique n’est pas terminée

Car d’autres protagonistes sont venus, entre temps, revendiquer tout ou partie du trésor. Et, en première ligne, l’Espagne qui s’appuie sur le droit international du pavillon. Ce droit précise que le naufrage n’est pas considéré comme une rupture de propriété. Le pays dont le navire battait pavillon au moment du naufrage, restant seul propriétaire de l’épave. En 2012, elle avait ainsi revendiqué l’épave du Black Swan, frégate espagnole coulée en 1804 au large du Portugal avec son trésor de pièces d’or et d’argent (plusieurs centaines de millions d’euros), et avait obtenu gain de cause contre l’inventeur, là encore une société privée américaine. Mais la Colombie n’a pas signé les mêmes accords et la loi colombienne (intervenue étonnement en 2013) stipule que tous les navires coulés dans ses eaux territoriales lui appartiennent. Ce qui, au passage, la rendrait propriétaire d’environ 1200 autres épaves.

D’autres acteurs tentent également de faire entendre leurs voix. Il s’agit de plusieurs nations sud-américaines (en particulier les Qhara Qhara de Bolivie) dont les populations ont été placées en esclavage par les Espagnols pour extraire ces métaux précieux. Et qui, de ce fait, revendiquent leur part du butin.

Encore faut-il réellement remonter ce trésor des fonds marins…

Car, si on abandonne l’espace juridique pour rejoindre la réalité, à ce jour, à part quelques photos, on n’a toujours pas remonté la moindre pièce de monnaie, le moindre lingot et même aucun objet de cette épave mythique. Or, depuis 2016, on proclame que son sauvetage est imminent. Fin 2015, l’Institut Colombien d’Archéologie et d’Histoire a même annoncé la création d’un musée à Carthagène destiné à abriter une partie du contenu du galion, le reste (et en particulier le gros des objets précieux) pouvant être déposé auprès de la banque centrale.

Image prise par la marine colombienne.

Le 24 février dernier, le gouvernement colombien a informé la presse du lancement d’une expédition, en avril-mai 2024, destinée à remonter, enfin, à la surface les premiers objets du San José. Le navire ARC Caribe en serait chargé grâce à un robot sous-marin. Coût prévisible : 4,5 millions de dollars, juste pour cette phase exploratoire préalable !

Et d’ailleurs que contient réellement ce trésor ?

Mi 2022, l’armée colombienne, supervisée par le ministère de la Culture, a diffusé les premières images de la découverte. De la structure, on aperçoit des restes de coque et une partie de la proue.

On y distingue aussi des canons de bronze, des poteries et autres pièces de vaisselle, mais aussi des pièces de monnaie. Si on se base sur ce que l’on connait des très nombreuses épaves espagnoles de ce type quoi ont été explorées à ce jour, on peut imaginer qu’il s’agit de pièces d’or (8 escudos par exemple) ou d’argent (reales), frappées dans les colonies espagnoles.

Escudos de Lima.
Escudos Philippe V.
Reales de Carthagène.
Real de Mexico.

Notez que, contrairement aux monnaies frappées en Espagne à la même époque, leur apparence est beaucoup plus fruste, car elle s’est toujours effectuée dans la précipitation et avec des moyens matériels rustiques. Du coup, elles sont rarement parfaitement rondes et, de ce fait, seule une partie de leur gravure apparait. On peut également imaginer que, aux côtés de ces pièces, on trouve des lingots, d’or ou d’argent. Là encore, il s’agira de fabrications artisanales qui, même si elles portent bien les marques des essayeurs (ceux qui en garantissent le poids et le titre), n’ont rien à voir avec les lingots que l’on connait aujourd’hui. Quand au volume exact de ce trésor, on est, en réalité, dans la spéculation la plus pure. Qui plus est, compte tenu des conditions assez extrême d’extraction, il n’est pas envisageable de remonter à la surface 100% de la cargaison initiale.

Le San José et son butin n’ont donc pas fini de faire parler de lui, même 300 ans après son naufrage.

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Bruno Collin
Elève d’Emmanuel Le Roy Ladurie, Docteur en histoire économique et monétaire, expert numismate et journaliste. Auteur d’une quinzaine d’ouvrages et de plusieurs centaines d’articles sur ce sujet, il analyse la monnaie sous tous ses multiples aspects : historique, valeur, économique, support de propagande, nerf de la guerre, objet de placement, techniques de fabrication, métaux...

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