Sommes-nous en train de boucler un cycle commencĂ© au milieu du XIXĂšme siĂšcle oĂč lâinnovation et la technologie devaient nous permettre de mieux vivre ? PĂ©riode oĂč lâon nous promettait que « Le bonheur Ă©tait pour demain ». Câest le titre du dernier ouvrage de Philippe Bihouix. Il Ă©tait prĂ©sent lors de la journĂ©e annuelle Au Coffre, voici sa confĂ©rence en vidĂ©o
Philippe Bihouix est ingĂ©nieur. Il aime donc les process techniques et lâinnovation. Mais cela ne lâempĂȘche pas de rĂ©flĂ©chir Ă la finalitĂ© du progrĂšs et de philosopher sur notre avenir commun. DĂ©jĂ en 2014, il avait Ă©crit : « LâĂąge des low tech, vers une civilisation techniquement soutenable.» (ed. Seuil).
La promesse technologique, câest la corne dâabondance du monde moderne
Dans ces siĂšcles oĂč tout sâaccĂ©lĂšre avec le progrĂšs technique, on ne peut que constater que cela va mieux pour les habitants de la Terre. Les progrĂšs mĂ©dicaux sont fantastiques et cela se traduit par une augmentation de la durĂ©e de vie pour les hommes et les femmes. On peut traverser la planĂšte en quelques heures quand il fallait 24 heures Ă cheval pour aller dâune prĂ©fecture au point le plus Ă©loignĂ© dâun dĂ©partement. Câest dâailleurs avec cette rĂ©fĂ©rence que NapolĂ©on a dĂ©coupĂ© le territoire. Lâagriculture de son cĂŽtĂ© permet de nourrir une population multipliĂ©e par 4 ou 5. Câest un des principaux arguments des dĂ©fenseur de lâinnovation technologique face aux « Cavaliers de lâApocalypse » qui annonçaient la famine gĂ©nĂ©ralisĂ©e.
Les lanceurs dâalerte ne sont pas entendus
Les Cornucopiens sont donc ces futurologues qui estiment que le progrĂšs technologique permettra Ă lâHumanitĂ© de subvenir Ă ses besoins, quoi quâil arrive. En face dâeux, ils ont ce quâon appelle aujourdâhui des lanceurs dâalerte. On les trouve aussi dans la littĂ©rature. Par exemple quand Orwell Ă©crit en 1948 son roman « 1984 », il prĂ©vient du risque de dictature et de contrĂŽle des personnes par la technologie, Ă©lĂ©ments bien prĂ©sents au XXIĂšme siĂšcle. Snowden est un enfant d’Orwell.
Vive la technologie réparatrice !
Câest exactement le mĂȘme principe avec les annonces sur lâĂ©volution du climat ou lâĂ©puisement des ressources de la planĂšte. Dâun cĂŽtĂ© les lanceurs dâalerte et de lâautre les Cornucopiens qui estiment que la technologie pourra rĂ©parer. On produit trop de CO2, il suffit dâinventer la machine pour le capturer. On va manquer de pĂ©trole ? Les techniques de prospection sâamĂ©liorent, on va trouver de nouvelles nappesâŠOn est trop nombreux sur terre, envoyons tout le monde en orbite (projet de Jeff Bezos), on manque de minerais, il suffit dâattraper des astĂ©roĂŻdes et de les transformer en mines (5 start-up portent des projets de mines de lâespace).
Des promesses qui nâengagent que leurs auteurs
Sauf que Philippe Bihouix aprĂšs avoir Ă©tudiĂ© lâĂ©volution du progrĂšs technique, de ses dĂ©fenseurs et de ses pourfendeurs au fil des siĂšcles pense quâil faut siffler la « fin de la rĂ©crĂ©ation ». Ndlr. Son ouvrage « le bonheur Ă©tait pour demain » est admirablement documentĂ© et illustrĂ© par des textes, livres et chroniques.
Il compare lâusage de la technologie et le comportement des ingĂ©nieurs Ă un parcours Ă bicyclette. Il semblerait quâon craigne de ralentir, de sâarrĂȘter et donc de tomber. Sauf quâaujourdâhui, on est poussĂ© non seulement Ă ne pas sâarrĂȘter mais Ă toujours accĂ©lĂ©rer. La courbe dâinnovation est exponentielle. Et ça, ce nâest pas tenable selon lui. Il prĂ©conise donc de repositionner nos stratĂ©gies dâinnovations pour ĂȘtre moins consommateur en matiĂšres premiĂšres et en Ă©nergie notamment.
Le retour de la vertu
En fait, Philippe Bihouix estime quâil faut repenser nos fonctionnements avec une approche plus vertueuse. Il ne sâagit pas de vivre en « harmonie avec la nature » mais de la respecter. Il ne faut pas imaginer un monde idĂ©al pour tous. Cette promesse des utopistes nâest jamais tenue. On nous parle de la dĂ©mocratisation du transport aĂ©rien mais combien de milliards de personnes nâont toujours pas pris lâavion par exemple. Donc on imagine mal que les projets dâexfiltration vers Mars ou la Lune seront pour tout le monde, cela sera limitĂ© Ă quelques Ă©lites fortunĂ©es ou proches du pouvoir. Il sâagit bien de penser des solutions collectives, simples, sans doute « en proximité » plutĂŽt que de « vendre » des solutions qui permettront de continuer Ă vivre toujours plus fort, plus viteâŠmais sans lendemain ?
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