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Ayant récemment promis de surtaxer les CDD pour éteindre la grogne des syndicats étudiants, Manuel Valls fait jouer une étrange partition à son gouvernement, à contre-pied des engagements pris au niveau européen en faveur de la flexibilité de l’emploi. Et cette incursion brutale dans un domaine qui ne lui appartient pas — les négociations entre les partenaires sociaux — risque en plus de crisper ceux-là même qu’il devrait justement ménager pour espérer faire passer ses mesures.

La petite chorégraphie est désormais bien rodée. Le pas est sûr et l’hésitation des débuts a disparu. Aujourd’hui, le gouvernement est passé maître dans l’art des volte-face, pas chassés et autres figures d’esquive qui ont transformé la politique française en véritable danse de salon. Dernier morceau joué, celui du contrat de travail, dont la loi El-Khomri aurait dû sonner la réforme tant attendue. Un projet de loi qu’on a su cependant si bien dépecer qu’il n’en reste plus grand chose, à peine un os à ronger. Ou plutôt… à ranger, dans les placards de la République qui regorgent de projets avortés en vertu d’un principe élémentaire : si c’est démagogique ET que ça plait aux syndicats, alors ça passe ; sinon, ça casse.

Un pas à droite, un pas à gauche

Lorsque le projet de loi El-Khomri fut annoncé, l’aile gauche de la majorité a crié au scandale, tandis que l’opposition restait sans voix devant le côté libéral du texte. Après avoir été si souvent vilipendé, voilà que le patronat obtenait des concessions de la part d’un gouvernement traditionnellement peu enclin à lui faciliter la vie. D’autant que, n’en déplaise aux syndicalistes, ce projet de loi, même encore imparfait, donnait de vraies bonnes pistes pour l’amélioration de l’emploi en France, y compris pour les jeunes.

Bon, pour être tout à fait exact, le gouvernement n’a pas vraiment eu le choix. Ce projet de loi, cela faisait trois ans qu’il aurait dû sortir, sous la pression d’une Union Européenne qui trouvait que la France mettait décidément beaucoup de temps à entrer dans le XXIe siècle au niveau de l’emploi. Car, en dépit de ses démonstrations publiques où il se présentait comme le toréador de l’arène politique européenne, François Hollande a vite compris qu’il allait devoir se plier aux consignes de Bruxelles en matière de réformes. Et surtout que la refonte du code du travail devenait, non plus une recommandation, mais une véritable exigence. Dès lors, le problème de François Hollande, ce n’était pas tant la réforme en elle-même que les conséquences politiques qu’elle allait avoir sur sa propre image. Pensez donc, un président socialiste obligé de revoir l’un des modèles fondateurs de la gauche française, ces fameux acquis sociaux nés des luttes syndicales du début du XXe siècle. Une véritable trahison de parti dans laquelle il a dû entrainer Manuel Valls, fidèle second couteau dont « l’orgueil ibérique, l’autorité ombrageuse et l’ambition en bandoulière » (c’est le Nouvel Obs qui le dit) lui ont néanmoins permis de laisser (provisoirement ?) de côté les profonds désaccords qui opposent en réalité les deux hommes (Nicolas Sarkozy voulait Valls dans son gouvernement d’ouverture en 2007 et ce dernier s’était présenté contre Hollande aux primaires socialistes de 2012).

Est-ce justement parce qu’ils ne sont pas amis (leur alliance est 100% politique, se plait-il à affirmer dès 2012) que Valls n’hésite pas à suivre Hollande dans ses errements politiques, quitte ensuite à jouer la carte de la fidélité pour se dédouaner d’une quelconque responsabilité lorsqu’il sera temps de faire les comptes ? Toujours est-il que le Premier Ministre était même prêt à porter lui-même la Loi Travail sur les fonds baptismaux. Et sans la fronde de la rue, c’est ce qui se serait passé. Or, il a fallu composer. Qu’à cela ne tienne, l’homme connaît la musique.

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Premier temps : retrouver les faveurs de l’électorat de gauche

Les syndicats étudiants et lycéens (téléguidés par leurs aînés de la fonction publique qui ont en sainte horreur la simple idée de réforme, quelle qu’elle soit) sont donc sortis dans les rues pour demander l’abrogation de la loi Travail. Non contents de ne l’avoir sans doute jamais lue, ils avaient certainement oublié aussi qu’on n’abroge pas de loi qui n’a pas encore été votée. De la même façon, peut-être un effet de la fatigue, certains manifestants ont fini par demander l’abrogation… du travail. Économie de mots ou véritable lapsus idéologique, il n’empêche que Manuel Valls les a entendus et leur a proposé une entrevue au cours de laquelle il a promis de l’argent (tout le monde a un prix, ici ce sera 500 millions d’euros par an) mais aussi une surtaxation du CDD, dans le but d’amener les employeurs à renoncer à ce type de contrat. Autant dire, à renoncer à embaucher tout court, mais c’est une autre histoire…

Les uns sont donc rentrés chez eux rassurés et les autres débarrassés d’un problème. Certes, il reste bien quelques noctambules qui campent dans les rues pour demander on-ne-sait-plus-trop-quoi, mais s’ils se présentent comme le noyau dur de la fronde des dernières semaines, la réalité c’est que les « Nuit Debout » constituent juste un reliquat contestataire, simple stigmate politique d’une extrême-gauche qui n’a plus que ce moyen pour se faire entendre. De pauvres troufions abandonnés par une idéologie sans-domicile-fixe dont les mots n’ont plus guère de sens à l’heure de l’Union Européenne, de la monnaie unique, de l’économie disruptive et du commerce mondialisé.

Second temps : préparer malgré tout la réforme

Car réforme il y aura. Pas le choix. Tout le monde sait bien que les promesses de Valls ne peuvent pas être tenues sans remettre en question la légitimité-même de la France au sein de l’Union Européenne. Que signifierait la surtaxation du CDD alors que le gouvernement a récemment permis qu’on le renouvelle deux fois, au lieu d’une seule précédemment, au nom de la nécessaire flexibilité du travail ? Quel message enverrait le gouvernement à l’économie de marché en accroissant encore un peu plus le coût du travail en France ? Enfin, comment expliquer aux partenaires européens qu’on refuse de faire les efforts qu’on exige des autres (Espagne, Grèce, Italie…) et qu’on préfère continuer à donner des garanties en interne sur l’intangibilité du CDI, considéré par les autres pays comme une relique d’un passé économique hélas révolu ?

Le défi de Manuel Valls est donc double :
– rassurer les partenaires sociaux (objectif que sa proposition sur le CDD en pleine période de négociation paritaire a manifestement compromis) tout en donnant des garanties à Bruxelles qui fait de plus en plus ouvertement pression pour libéraliser le travail à l’échelle communautaire ;
– mais aussi poursuivre le train de réformes indispensables pour que la France reste crédible dans l’Union Européenne, sans pour autant donner l’impression qu’il sert la soupe au patronat.

Visiblement, l’exercice est de plus en plus délicat et il devient difficile de savoir si le Premier Ministre nous dévoile son art de la danse politique, maîtrisant chacun de ses pas selon une chorégraphie dont il est visiblement le seul à connaître la mesure… ou bien s’il est juste en train de tituber, ivre d’ambition comme d’inconséquence.

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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