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Évaluer le montant de l’épargne en or des Français relève de la quête du Graal !

La discrétion légendaire qui caractérise le détenteur d’or, la perméabilité des frontières, y compris dans les périodes de contrôle des changes et l’absence de données officielles dans de nombreux domaines, sont des obstacles majeurs à une étude sérieuse permettant d’approcher de la réalité, même si celle-ci, malgré tous les efforts, ne sera toujours qu’approximative.

Malgré tous ces obstacles, cette communication, à défaut de chercher à répondre de façon complète et précise, propose d’évaluer le montant maximum que l’épargne en monnaies d’or françaises pourrait éventuellement atteindre eu égard aux aléas documentés qui ont frappé les monnaies au fil des années.

Deux approches différentes sont proposées. L’une est construite sur une démarche statistique, l’autre sur le recensement des pertes ayant entraîné l’attrition progressive du stock de monnaies d’or françaises.

Le résultat final obtenu en confrontant les différents résultats de ces deux approches permet d’établir que le volume de monnaies d’or françaises ne dépasse pas 800 tonnes, soit seulement 20 % de l’ensemble des émissions réalisées depuis 1803.

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Dans une enquête restituée ici en quatre parties, nous vous proposons un regard inédit sur l’épargne or des Français ! Au long de ce troisième volet, nous vous présentons notre deuxième approche.

Méthode 2 : évaluation du volume de monnaies d’or disponibles par l’inventaire des pertes connues

Il est possible d’inventorier les quelques aléas ayant eu un impact sur le stock de monnaies disponibles et pour lesquels des preuves ou des informations fiables sont accessibles. Ces aléas qui touchent les monnaies d’or sont nombreux. J’ai déjà évoqué plus haut les pertes, le frai et la fonte. Les démonétisations officielles ont été prises en compte dans l’établissement du stock théorique de monnaies frappées. 

Exportations et importations

Inventorier les entrées et les sorties d’or de France est un véritable casse-tête. Quand bien même ces situations seraient connues, les statistiques douanières s’avèrent incomplètes et rendent donc compte difficilement de la réalité des flux. 

L’arbitrage entre l’or et l’argent

La mise en place d’un système monétaire bimétalliste a créé de nouvelles opportunités pour les arbitragistes. Les opérateurs en mesure d’intervenir sur plusieurs places de cotation (en particulier Londres et Paris) utilisaient à leur profit les écarts de cours entre places en exportant ou important les monnaies ou lingots d’une place vers une autre (Paris, Londres, Suisse, etc.). Dans son ouvrage magistral « Les secrets de l’or » Didier Bruneel illustre cette situation en citant des périodes du XIXe siècle pendant lesquelles en France le rapport or-argent commercial dépassait 15,5 (jusqu’à 22 en 1880) offrant aux spéculateurs français et étrangers la possibilité d’échanger des monnaies d’argent dont la valeur faciale était devenue très supérieure à leur valeur marchande contre de l’or échangeable au guichet de la Banque de France selon le ratio officiel. 

Le métal présent dans l’autre métal 

Dans les débats à l’Assemblée dans le cadre de la préparation de la loi de 1829, relative à la refonte des anciennes monnaies, ces méthodes d’arbitrage entre l’or et l’argent, et leurs conséquences, étaient largement dénoncées. Les monnaies anciennes d’argent contenant quelques millièmes d’or étaient fondues pour en extraire cet or[XIX]. L’argent était acheté au poids et selon la valeur commerciale du moment auprès du public puis fondu et façonné en lingots et présenté dans un établissement de la Monnaie pour y être frappé en monnaies germinal dont la valeur nominale globale était alors supérieure à la valeur commerciale initiale. Ceci permettait ensuite d’acheter l’or au prix officiel avec ces monnaies d’argent. 

L’or des anciennes monnaies contenant de l’ordre de 60 à 70 millièmes d’argent par kilogramme était également fondu pour en extraire l’argent et façonner l’or en lingots[XX]. Les affineurs-spéculateurs ont ainsi éradiqué les anciennes monnaies d’or françaises pour en tirer l’argent qui leur permettait, après frappe, d’acquérir de l’or à un prix avantageux.

L’or à usage industriel

Jusqu’à la suspension[XXI] de la cotation de l’or à la Bourse de Paris en 2004, les Français avaient depuis plusieurs siècles la possibilité de négocier des produits en or soit par l’intermédiaire de courtiers intervenant pour eux sur la Bourse, soit en s’adressant à un commerçant en métaux précieux (qui pouvait lui aussi faire office de courtier). Sur le marché des métaux précieux intervenaient non seulement des courtiers, mais aussi, et surtout, des professionnels venant là pour acquérir une matière première à des fins de transformation (dentiste, dorure[XXII], bijouterie, fil d’or, etc.). Dès lors, comment faire la part des choses entre les transactions destinées à la thésaurisation et celles ayant un objectif industriel ?

La monnaie d’or victime des guerres

Les guerres ont beaucoup érodé le stock de monnaies d’or françaises. Plusieurs démonétisations sont intervenues au fil de l’Histoire de France sous la contrainte géopolitique. Chaque grand malheur géopolitique a réduit un peu plus le stock initial de monnaies d’or.

En 1871, la France est condamnée par la Prusse à payer une indemnité de guerre colossale de 5 milliards de francs. Le 18 janvier 1871, le chancelier Bismarck fait proclamer dans la galerie des Glaces du palais de Versailles la création de l’Empire allemand. En 1874, Léon Say[XXIII] est le premier à faire le lien entre la création de la toute nouvelle monnaie d’or du jeune État allemand et la disparition d’une grande quantité de monnaies françaises de 20F or. Puis, en 1906, Alfred de Foville[XXIV] en obtient confirmation d’une source officielle allemande. Celle-ci confirme qu’entre le 5 décembre 1971 et le 15 avril 1873, la frappe du reichsmark or a englouti 847 millions de francs en pièces de 20F or, soit près de 246 tonnes d’or fin.

Ce pillage de l’or entre pays était une habitude profondément ancrée dans les mœurs monétaires. De Foville en mentionne quelques exemples dans son ouvrage de 1906 : « On fabrique aussi – à tort ou à raison – des eagles américains avec des sovereigns anglais, de l’or allemand avec de l’or français, des François-Joseph avec des Helvetia, etc. ».

En 1914 les Français apportent leur or à la Banque de France pour soutenir l’effort de guerre.  Ces 684 tonnes d’or fin serviront à payer les fournitures militaires achetées à l’étranger. Plus particulièrement aux États-Unis, qui afficheront après l’armistice une hausse impressionnante[XXV] de leur réserve officielle d’or.

Le Nord et l’Est de la France, occupés pendant quatre ans, sont mis en coupe réglée par l’occupant : larcins, vols, extorsion et pertes pèsent sur le stock de monnaies d’or françaises de façon significative. Plus de 100 tonnes d’or fin disparaissent dans les poches des troupes d’occupation.

En 1940 le même scenario se reproduit, mais cette fois étendu à la moitié du pays puis en 1942 à la totalité de l’Hexagone. 

Le recours à l’épargne des Français

Enfin, la situation économique et monétaire des après-guerres érode un peu plus ce stock, à la fois en faisant appel encore une fois à l’épargne des Français en 1926-1928, puis en 1952 et 1958.

Tous ces éléments sont factuels et sourcés, mais ne représentent qu’une partie de tous les évènements ayant touché le stock de monnaies. En soustrayant du stock théorique représentant l’ensemble des frappes (les démonétisations connues y sont déjà déduites) le cumul des pertes documentées, le résultat devrait permettre ainsi d’obtenir une idée du stock maximum disponible en monnaies d’or françaises.

Sachant que l’inventaire des pertes résumées plus haut est loin d’être exhaustif, le solde final ainsi obtenu, c’est-à-dire le stock d’or sous la forme de monnaies françaises restant à une date donnée, est véritablement le chiffre le plus optimiste possible.

Point de départ : 1800 

Un premier calcul est réalisé en prenant comme point de départ l’année 1800 et en inventoriant, autant qu’il est possible de le faire, les événements depuis cette date jusqu’à 1960. Les événements recensés sont à l’origine exprimés en francs par les différents auteurs. La stabilité du franc germinal et la quasi-absence d’émission monétaire après 1914 permettent de traduire directement toutes ces informations en tonnes de fin (1F = 5,80644 g de fin).

De 1800 à 1959, ce sont 3697 tonnes de pièces d’or qui ont été frappées soit sous la forme de monnaies à cours légal de 1803 à 1921, soit sous la forme de jetons entre 1952 et 1959. Ce chiffre prend en compte les démonétisations officielles mentionnées dans l’ouvrage de Jean-Marie Leconte.

Tous les évènements ayant participé à l’attrition de ce stock de 3697 tonnes ne sont bien évidemment pas recensables. Néanmoins, grâce à plusieurs auteurs, il a été possible d’identifier les faits majeurs ayant frappé la monnaie d’or française depuis 1800. Le lecteur pourra utiliser les références données dans le tableau ci-dessous vers ces auteurs pour plus d’information.

Le résultat, dans la colonne « soldes (t) », donne le stock de monnaies d’or françaises disponibles en 1959. Celui-ci représenterait au mieux 1012 tonnes d’or fin sachant que 611 tonnes d’or n’ont pas été prises en compte par manque d’information sur leur nature (monnaies françaises autres que 20F et monnaies étrangères sans autres précisions. Voir note jointe au tableau).

Note importante : Dans son ouvrage de 2011, « Les secrets de l’or », Didier Bruneel mentionne la fonte de monnaies françaises autres que la traditionnelle 20F or « 46 millions d’autres pièces françaises dont 13,6 millions de pièces de 100F type Bazor frappées entre 1935 et 1936 et jamais mises en circulation à cause de la dévaluation de 1936 » et de monnaies d’or étrangères « [et près de] 52 millions de pièces étrangères – allemandes, américaines, anglaises, espagnoles et turques. En tout sur la période 1934-1948, ce sont 223 millions de pièces qui furent fondues pour un poids d’or fin d’environ 1337 tonnes. ». Il dévoile que l’ensemble des fontes de 1934 à 1948 représente 1337 tonnes. Sachant qu’il donne les tonnages des fontes de 1934-1940 et de 1946-1948, le tonnage de ces pièces étrangères et Bazor est obtenu par différence : 1337 – (447 + 279) soit 611 tonnes. N’ayant trouvé aucune autre précision, cette donnée – néanmoins importante du fait du volume que ceci représente — n’est pas exploitée ici.

Point de départ : 1914

Sur plus de deux siècles, les évènements qui ont impacté la monnaie française sont à l’évidence très nombreux. Aussi, sachant qu’il n’est pas possible d’être exhaustif sur l’identification de ceux-ci, le choix d’une date intermédiaire offrant des données fiables sur le dénombrement de la monnaie permettrait d’éliminer de fait les aléas antérieurs à cette date, dont en particulier ceux qui n’ont pu être identifiés, et donc ainsi de réduire la part d’incertitude. Ceci présente un intérêt à la condition qu’à cette date intermédiaire soit connu avec une bonne fiabilité le niveau du stock de monnaies d’or disponibles.

La date intermédiaire la plus pertinente semble être 1914. En effet, plusieurs informations intéressantes et fiables sont disponibles pour 1914. 

Jusqu’en 1914, année incluse, 3478 tonnes d’or fin ont été émises depuis 1800 par la France. 1914 marque aussi l’arrêt des grandes émissions de monnaies d’or. Seulement 218 tonnes d’or fin seront mises en circulation après cette date sous la forme de monnaies et de jetons (en 1921 pour des 20F or et de 1952 à 1959 pour des jetons Pinay).  

Partant des quelques évènements déjà mentionnés dans le tableau précédent, la situation théorique du stock de monnaies d’or françaises en 1914 est la suivante :

Le résultat de la démarche est ici de 2980 tonnes d’or théorique pour 1914. Ceci ne tient pas bien sûr compte de tous les événements de 1800 à 1914, ni de l’usure et des pertes de pièces. Il s’agit du stock émis initialement jusqu’en 1914 duquel sont déduites les pertes connues et documentées. Objectivement, ce chiffre situe donc bien au-delà de la réalité le stock d’or monétaire français réellement présent en 1914. 

Comment l’affiner ?

Le stock d’or monétaire est dans les mains de trois opérateurs :

les Français, il s’agit de l’or monétaire en circulation ;

la Banque de France qui en détient un certain volume. C’est une partie de l’encaisse-or de la Banque dont le rôle est de garantir les émissions de billets ;

les pays étrangers. Aucune information n’est disponible sur le stock détenu par ceux-ci. A priori le volume détenu en l’état est négligeable.

Plusieurs auteurs mentionnent l’encaisse-or de la Banque de France. Néanmoins peu d’entre eux détaillent les trois éléments de cette encaisse-or, c’est à dire :

– monnaies d’or françaises,

– monnaies d’or étrangères,

– lingots d’or.

Le tableau ci-dessous rassemble les informations collectées sur ces points :

Selon Pierre Sicsic[XXVI], la situation en 1909 de l’or monétaire en France se résumait ainsi :

C’est-à-dire qu’en 1909, sur un total de 2347 tonnes d’or de monnaies, 2123 tonnes étaient constituées de monnaies d’or françaises (385+1738). 

Sachant qu’entre 1909 et 1914 l’institut d’émission a mis en circulation 837 tonnes d’or, le stock de monnaies françaises devrait dès se situer autour de 2960 tonnes en 1914, à quelques pertes ou gains près (2123+837). Ces 837 tonnes se répartissent logiquement entre l’encaisse-or de la Banque de France et la monnaie en circulation.

Par rapport au résultat de 2980 tonnes obtenu dans le tableau destiné à évaluer le stock de monnaies d’or en 1914 la différence entre ces deux résultats représenterait les pertes non recensées soit 20 tonnes de fin. Sur 114 années ces 20 tonnes représentent une perte annuelle moyenne minime. Ceci est négligeable et confirme de fait la cohérence des données de Sisic. 

L’Annuaire statistique[XXVII], mémoire officielle de la vie économique et financière du pays, publie qu’en 1914 la Banque de France détenait 1202 tonnes d’or monétaire (monnaies et lingots), sans faire la distinction entre les monnaies, françaises et étrangères, et les lingots. Cependant, pour la même année, René Pupin[XXVIII] révèle que la Banque détenait 489 tonnes de lingots et 717 tonnes en monnaies d’or (673 tonnes de monnaies françaises et environ 44 tonnes d’étrangères en reprenant le chiffre donné par Sicsic pour 1909), soit au total 1206 tonnes d’or fin monétaire ce qui concorde parfaitement avec le montant donné par l’annuaire statistique. Dès lors, il est possible d’en déduire approximativement la répartition entre circulation et Banque de France des monnaies françaises d’or en 1914 :

Pour la suite, le chiffre de 3000 tonnes de monnaies d’or survivantes en 1914 sera retenu.

Dès lors, prenant en compte les émissions après 1914, soit 218 tonnes de monnaies et jeton d’or, et les pertes connues et documentées (voir tableau ci-dessous) ceci permet de déterminer le volume maximum de monnaies d’or françaises potentiellement survivantes en 1959, soit 1085 tonnes.

Ce résultat, 1085 tonnes, n’inclut pas les évènements qui seraient survenus entre 1914 et 1959 et qui n’ont pas été identifiés pour être inclus dans l’inventaire. 

La probabilité est donc très forte que ces 1085 tonnes soient un chiffre maximum pour 1960.

Lundi 31 juillet, retrouvez la quatrième et dernière partie de notre enquête.


[XIX] Témoignage recueilli par Henri Petit auprès de monsieur Dehaye directeur de la Monnaie de Paris : entre le 1er janvier 1830 et le 31 décembre 1834, 1849 tonnes de monnaies anciennes d’argent fondues en lingots ont permis par affinage d’obtenir 730 kilogrammes d’or. Source : « Les refontes spéculatives au XIXe siècle » (1970).

[XX] La Gazette nationale ou le Moniteur universel, 18 avril 1829, n° 108.

[XXI] Suspension annoncée par un communiqué d’Euronext Paris le 30 juillet 2004 ; clôture définitive le 16 septembre 2004 annoncée par un communiqué d’Euronext Paris le 14 septembre.

[XXII] « … la dorure galvanoplastique s’alimente parfois, dans les petits ateliers, avec des pièces de 20 francs. » De Foville dans « La Monnaie », page 129.

[XXIII] « Rapport fait au nom de la Commission du budget de 1875 » du 5 août 1874 par Léon SAY.

[XXIV] A. de Foville « La Monnaie » (1906) page 129, dans Bibliothèque d’Économie Sociale. (273 millions de francs de l’indemnité de guerre, soit 79,2 tonnes, 245 millions achetés à la pièce en Allemagne, soit 71,1 tonnes, 287 millions achetés au poids en Allemagne, soit 83,3 tonnes, et 42 millions de francs achetés au poids en Angleterre, soit 12,2 tonnes).

[XXV] En 1914, la réserve d’or des États-Unis était évaluée à 863 millions de dollars. En 1918, ce montant passe à 2 248 millions de dollars (2,248 milliards) soit un bond de + 160 % en 4 ans. Source : Federal Reserve Bulletin – février 1920.

[XXVI] « Estimation du stock de monnaie métallique en France à la fin du XIXe siècle » par Pierre Sicsic (1989).

[XXVII] L’Annuaire statistique 1914-1915 est accessible sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5505411x

[XXVIII] « La circulation et la thésaurisation des monnaies d’or en France » par René PUPIN (1917).

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Yannick Colleu
Yannick Colleu a découvert les métaux précieux après l'éclatement de la bulle Internet en 2000. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : "Investir dans les métaux précieux" et "Guide d'investissement sur le marché de l'or". Il est notamment reconnu pour son expertise sur la fiscalité et intervient régulièrement lors des événements annuels d'AuCOFFRE.com.

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