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Tout ce qui brille n’est pas or. Tout ce qui est doré non plus. Pourtant, depuis quelque temps en France, on assiste dans les magasins à une véritable ruée vers le beurre qui n’a rien à envier à une ruée vers l’or.

Oui, le beurre, le compagnon de nos tartines matinales et l’ingrédient de base de tout un pan de la gastronomie française. Pénurie, le mot est lâché. Et il n’en suffit généralement pas davantage pour précipiter tout un secteur économique dans une logique d’état d’urgence. Mais qu’en est-il en réalité ?

Une réalité à plusieurs facettes

Il y a d’abord une réalité mondiale. On n’en a pas beaucoup entendu parler, mais les prix mondiaux du beurre ont presque triplé en un an, passant de 2 500 euros la tonne durant l’été 2016 à près de 7 000 euros (8 144 dollars) aujourd’hui. Forcément, avec une hausse pareille, la demande s’est tendue et les acheteurs qui étaient habitués à faire des réserves, ou même simplement à prévoir des pics de consommation, ont commencé à réduire leurs dépenses.

Il y a ensuite une réalité européenne. Suite à la fin des quotas laitiers décidée en avril 2015 pour l’Union Européenne, le marché a anticipé un possible accroissement de l’offre et les prix ont subi (à cette époque) une sévère décote. Or, pour des milliers d’exploitants déjà financièrement pris à la gorge, une baisse des prix ne rendait plus la production rentable et certains se sont réorientés vers d’autres secteurs agricoles… ou ont tout simplement cessé leur activité. Conséquence directe, la production de lait a de nouveau chuté au printemps 2017.

Mauvais timing sur les marchés

Évidemment, en temps normal et dans un marché mondialisé, ce genre de baisse « localisée » (si on considère l’UE comme étant « locale » à l’échelle de la planète) peut facilement être compensé par des apports extérieurs accrus. Or, mauvais timing, la baisse de production européenne a coïncidé avec la mise en place de nouvelles politiques d’exportation d’autres gros producteurs mondiaux.

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Ainsi, les Etats-Unis ont freiné leurs ventes à l’étranger pour répondre à une demande intérieure croissante, tandis que la Nouvelle-Zélande, premier exportateur laitier mondial, connaît une baisse de production due à la sécheresse.

La spécificité française (encore !)

Enfin, il y a une réalité française. En effet, fidèles à leur réputation de « saigneurs » des ruraux au nom du grand principe des prix bas pour le consommateur final (ce qui n’est d’ailleurs plus qu’un vœu pieux depuis bien longtemps déjà), les supermarchés rechignent à payer le juste prix des produits agricoles aux exploitants français. Et c’est d’autant plus vrai aujourd’hui alors que l’offre se faire plus rare et que les prix auraient justement tendance à grimper.

Jusqu’ici, les producteurs devaient accepter le diktat de la grande distribution et subir sans broncher des conditions commerciales leur permettant tout juste de survivre. Mais depuis quelque temps, la profession s’est organisée et, désormais, elle est capable d’aller vendre ailleurs, en particulier hors de nos frontières.

La pénurie n’existe pas

Et c’est ce qu’elle fait. Selon Thierry Roquefeuil, président de la fédération nationale des producteurs laitiers, la question de la « pénurie » ne se pose pas, il s’agit simplement d’un effet d’une énième guerre des prix entre détaillants et producteurs français. « Les détaillants refusent d’augmenter les prix, même de quelques centimes. Alors les producteurs laitiers, voyant qu’il existe une demande extérieure à des prix plus élevés, s’arrangent à juste titre pour vendre à l’étranger« .

Néanmoins, le perspectives sont encourageantes et, comme pour l’or (le vrai !), une partie de la solution pourrait bien venir… de Chine. En effet, si vraiment on veut trouver une pénurie de beurre dans les supermarchés français, alors on peut en chercher les causes dans la crise laitière de 2016 qui a entraîné une baisse de… 3% de la production. Mais dans le reste du monde, la demande explose, notamment en Asie. Selon Pierre Begoc, directeur des activités internationales chez Agritel, un cabinet d’analyse spécialisé dans les produits agricoles, « le beurre et le fromage restent les produits laitiers les plus demandés en Asie, en particulier en Chine« .

La force de frappe économique de la Chine

À l’issue du 19ème congrès du parti communiste chinois qui s’est tenu il y a une semaine à peine, Xi Jinping a dévoilé les ambitions planétaires de son pays qui, dans un grand nombre de secteurs, constitue déjà le premier marché mondial effectif ou en devenir. Pour dire les choses autrement, le président Xi Jinping a promis que la Chine serait le pays le plus puissant du monde d’ici 2022. C’est à dire demain…

Le plus puissant démographiquement (ce qui est déjà le cas), financièrement (là, ça pourrait arriver bien plus vite qu’on ne le croit) mais aussi sur le plan économique. Et c’est clair qu’avec 1 milliard d’individus des classes populaires sur le point de rattraper le niveau de vie occidental dans les 10 ans à venir, mais surtout une classe moyenne d’ores et déjà opérationnelle s’élevant à 400 millions de personnes, la force de frappe économique de la Chine est tout simplement colossale.

Une nouvelle « médecine » chinoise pour soigner notre économie ?

Ainsi, pour en revenir au « petit » problème du beurre, le directeur d’Agritel explique que « la demande mondiale a commencé à se redresser, et surtout la Chine a recommencé à acheter après s’être arrêtée pendant quelques mois pour puiser dans ses stocks, ce qui a entraîné une hausse substantielle des prix du lait et du beurre« . Hausse des prix mais également hausse de la demande. Or, les détaillants français ne se sont pas adaptés à la nouvelle réalité du marché et sont restés bloqués sur un plafond de prix d’achat qui ne se justifie plus. Pour les entreprises laitières françaises, il est désormais plus facile (et surtout plus rentable) d’exporter vers des pays comme l’Allemagne, où les détaillants sont prêts à payer un prix plus élevé.

On le voit, le beurre n’est qu’un symptôme, mais il n’est pas la maladie. Cette dernière touche de la même façon toutes les matières premières, qu’elles soient alimentaires, industrielles ou même précieuses. En maintenant artificiellement les prix au plus bas, certains pensent pouvoir forcer le marché à se plier à leurs attentes, et ils justifient leur action par la nécessité de favoriser certains actifs sur lesquels ils ont misé beaucoup à une certaine époque (le cours de l’or des et des matières précieuses maintenu au plus bas pour garder une attractivité de façade aux devises notamment en est un bon exemple).

Mais la réalité finit toujours par rattraper la fiction. Et avec la Chine qui prend de plus en plus de place dans le monde, ce sont toutes nos habitudes de consommation et d’investissement qu’il va nous falloir revoir très rapidement. Cela risque juste d’aller plus vite pour les producteurs laitiers que pour les investisseurs en métaux précieux

 

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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