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Après quelques rappels historiques sur la place de l’or (et de l’argent) dans la culture occidentale, nous allons pouvoir embarquer pour le vol qui va nous mener en Chine. Cette destination va être un gros morceau de notre périple oriental puisque nous avons ici affaire non seulement à la deuxième économie au monde par son PIB nominal, mais également au pays qui, à bien des égards, est l’acteur le plus important du marché de l’or.

Je pourrais faire court en vous disant que l’Empire du Milieu est le premier producteur, consommateur et importateur d’or à l’échelle mondiale, comme on peut le lire à droite, à gauche. Ce serait exact, mais cela ne vous apprendrait pas grand-chose sur la culture locale ni sur la stratégie de camarades communistes qui dirigent le pays d’une main de fer.

Je vais donc plutôt commencer par expliquer pourquoi les Chinois entretiennent vis-à-vis de la monnaie un rapport très différent que nous autres Français, et ce au moins pour deux raisons.

La culture financière chinoise, forgée par 5 siècles de standard argent… entre deux catastrophes liées à la monnaie papier !

Pour comprendre la première de ces deux raisons, il va nous falloir remonter plusieurs siècles en arrière et nous intéresser à l’histoire monétaire chinoise. Sous la dynastie des Song du Nord (960-1127), l’Empire du Milieu a été la première économie au monde à mettre en place un véritable système de papier monnaie.

Au départ, ce système reposait sur une contrepartie bimétallique (or et argent). Cependant, en Chine comme partout dans le monde, les élites politiques ont une fâcheuse tendance à dépenser plus d’argent qu’ils n’en encaissent, ce qui finit toujours par se traduire par l’avilissement de la monnaie. C’est ainsi que les successeurs de Kubilai Khan (qui a fondé la dynastie Yuan entre 1271 et 1274) ont fini par purement et simplement passer à une monnaie sans contrepartie métallique. L’aventure s’est naturellement terminée en hyperinflation et la Chine a abandonné la monnaie papier au XIVe siècle.

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A compter du XVe siècle, l’argent métal est devenu le moyen de paiement dominant en Chine, et cette pratique a perduré pendant 5 siècles, jusqu’à ce que le pays ne s’équipe… d’une banque centrale. Comme l’expliquent Ronald Stöeferle et Mark Valek (S&V) dans leur rapport In Gold We Trust 2019, en 1935, « la banque centrale chinoise, qui avait été fondée en 1927, a aboli l’étalon-argent et a commencé à émettre des billets de banque. La spirale d’inflation toujours plus rapide qui s’ensuivit contribua de manière significative à la victoire des communistes dans la guerre civile. » Que voilà une sacrée punition pour avoir remis le couvert avec la monnaie papier sans contrepartie en métal précieux, n’est-ce pas ?

Comme en Allemagne et en Autriche, le souvenir de la destruction de la monnaie papier reste donc très prégnant dans l’esprit chinois, tant il a eu des conséquences dramatiques sur l’histoire nationale. Cela explique que le rapport à la monnaie en Chine ne soit pas le même que chez nous.

Culturellement, les Chinois ont donc un attrait marqué pour l’or… qu’il leur a été impossible de thésauriser pendant la seconde moitié du XXe siècle

La conséquence en est que, comme dans la plupart des pays asiatiques, l’or occupe en Chine une place très importante en tant que cadeau lors des mariages, et des autres évènements de la vie. Notez qu’un « cadeau » doré sera également très bienvenu si vous désirez vous attirer les faveurs d’un politique ou d’un fonctionnaire local, la société chinoise étant ravagée par la corruption, comme c’est le cas de toute système communiste qui se respecte.

Cependant, si les Chinois sont aujourd’hui aussi avides d’or physique, c’est en grande partie parce que le régime en a décidé ainsi.

En effet, le gouvernement central de Mao Zedong a interdit la détention d’or par les particulier au début des années 1950.  Il a fallu attendre 1983 pour qu’elle soit à nouveau autorisée. Cependant, le commerce d’or est demeuré interdit jusqu’en 2001.

Pour comprendre ce qu’il s’est passé, il nous faut faire quelques pas en arrière. Comme je l’ai écrit dans mon livre, « Jusque dans les années 1970, la République populaire de Chine (RPC) était un pays relativement fermé et n’avait que très peu d’influence sur le déroulement des affaires du monde. L’ouverture de l’économie chinoise date de 1975 avec la mise en œuvre de la stratégie politique de Deng Xiaoping (kaifang). Dix ans après son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, la Chine [est devenue] la 2e économie mondiale en termes de PIB nominal, derrière les États-Unis. » J’en profite pour tirer mon chapeau au père Deng, qui a eu le nez assez creux pour comprendre qu’une économie communiste était vouée à l’échec, alors même que l’U.R.S.S. saillait de tous ses muscles.

Ce n’est qu’au début des années 2000 que, concomitamment à son ouverture au commerce international, la Chine a commencé à développer une stratégie tous azimuts d’augmentation du stock d’or détenu de manière publique et privée sur son territoire.

Le tournant de 2001

Jusqu’alors, les particuliers chinois n’avaient guère de choix s’ils voulaient conserver leur bas de laine sous une autre forme qu’en espèces. Avec des marchés financiers quasi inexistants, c’est bien sûr l’immobilier qui a été le réceptacle de cette manne. Puis, en 2001, l’Etat a autorisé les particuliers à diversifier leur épargne en achetant de l’or. Dans le cadre du contrôle des capitaux, le métal jaune n’avait à l’époque pas vraiment de concurrent sur la place. C’est là la deuxième raison pour laquelle les Chinois entretiennent vis-à-vis de l’or une relation différente que ce n’est le cas des Français, et plus largement des Occidentaux.

Depuis 2001, la réglementation relative au marché de l’or chinois n’a cessé de s’assouplir, si bien que l’Etat promeut ouvertement l’achat d’or.Comme je l’écrivais dans mon livre, « Ce processus de déréglementation a trouvé son aboutissement en mars 2011 lorsque la Banque populaire de Chine a recommandé de manière officielle et explicite aux épargnants chinois d’acheter de l’or. Les campagnes de publicité en faveur de l’achat de métal jaune se succèdent depuis à la télévision. En réaction à la nouvelle ligne politique du PCC, les comptoirs d’or se sont très vite répandus et les distributeurs automatiques de lingots ont récemment fait leur apparition. Les produits d’investissement se sont eux aussi développés. ICBC, la plus grande banque commerciale chinoise, offre la possibilité d’accumuler progressivement de l’or sur un compte dans le cadre d’un « Gold Accumulation Plan ». Il est désormais possible d’acheter de l’or d’un simple clic de souris, alors que cela était inconcevable il y a encore dix ans dans cet immense pays gouverné d’une main de fer par le parti unique. »

Le résultat de cette politique est assez spectaculaire.

En 2012, la demande d’or des particuliers chinois a dépassé celle des Indiens

Que ce soit en termes d’achat de bijoux en or…

Demande d’or en provenance de la bijouterie (sélection de pays, 2010-2019)

… ou en termes de demande d’investissement, la Chine figure loin devant les autres pays, y compris devant son voisin indien qu’elle a dépassé en 2012.

Demande d’or d’investissement (sélection de pays, 2010-2019)

Tout le monde est content : les épargnants chinois peuvent se protéger de la perte de pouvoir d’achat du yuan, et l’Etat peut détourner une partie de l’épargne des ménages de la bulle immobilière au profit du stock d’or détenu au niveau national.

Car il faut bien dire que le statut de l’or dans le pays des camarades communistes chinois est grosso modo le même que celui décrit dans Hôtel Calfornia : l’or rentre mais ne ressort pas, comme nous le verrons lundi prochain.

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

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