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Le ratio stock/flux de l’argent est différent de celui de l’or, mais pas autant qu’on le lit parfois sur la toile… et dans mon livre ! Lundi passé, je vous disais que l’argent est typiquement l’un des sujets vis-à-vis desquels il faut se montrer très méfiant. En 2013, pour évaluer le ratio stock/flux de l’argent, je me suis basé sur les statistiques du Silver Institute, qui font souvent référence sur la toile. Pour ceux qui l’ignorent, le Silver Institue est l’équivalent du World Gold Council, c’est-à-dire une sorte de syndicat des entreprises des secteurs de la production, la transformation et la commercialisation d’argent.

A l’époque, cet organisme estimait à 60 000 tonnes maximum les réserves identifiables d’argent à la surface du sol. Compte tenu d’une production minière annuelle de 23 688 tonnes d’argent, on pouvait alors conclure à un ratio stock/flux avoisinant les 2,5, ce qui aurait signifié que si les mines argentifères avaient dû fermer du jour au lendemain, il y n’aurait potentiellement eu que l’équivalent de 2,5 années de production minière à échanger sur les marchés (contre 56 pour l’or), d’où une explication de la très forte exposition de l’argent à un choc d’offre et la plus forte volatilité de ce métal par rapport à l’or.

Sauf que voilà, ce chiffre 60 000 tonnes n’est pas pertinent, et je profite de ce billet pour rectifier ce que j’ai écrit dans mon livre.

Argent : quelles quantités de métal l’Homme a-t-il extraites du sol au fil de l’Histoire ?

Dans un billet en date de décembre 2019, Jan Nieuwenhuijs a remis les points sur les i. Comme l’explique cet analyste indépendant, « Les stocks d’argent à la surface du globe sont d’un ordre de grandeur supérieur à ce que l’on croit généralement » – comprendre « supérieur à la vision colportée par le Silver Institute. » Analysant les chiffres du World Silver Survey 2019 (qui concerne 2018), Jan Nieuwenhuijs relève que selon le Silver Institute, les stocks identifiables à la surface du globe se montaient alors à 2 549,8 millions d’onces, soit 79 308 tonnes.

Et le Silver Institute de préciser que « Les bijoux, l’argenterie et les autres produits finis fabriqués en possession des utilisateurs finaux ne sont pas inclus dans notre définition des stocks raffinés en surface. Les pièces et barres d’investissement et les pièces numismatiques et de collection constituent la grande majorité de nos stocks de surface typiques », conduisant le lecteur à penser qu’avec une production annuelle de 27 000 tonnes d’argent, le ratio stock/flux de ce métal doit désormais être proche de 3.

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Cela pose deux graves problèmes.

Tout d’abord, « pourquoi les bijoux sont-ils exclus des données ? », interroge Jan Nieuwenhuijs. « Les bijoux en argent doivent être inclus pour la même raison que les bijoux en or sont inclus dans le stock mondial d’or : si le prix est suffisant, alors les bijoux peuvent être et seront vendus sur le marché. Nous devons donc conclure que les données du Silver Institute sont incomplètes. » Notez par ailleurs que « Curieusement, en 1992, le Silver Institute a publié des données complètes sur l’argent présent à la surface du globe, révélant que les volumes en surface étaient d’un ordre de grandeur supérieur aux « stocks en surface identifiables » actuels [NDLR : les fameuses 79 308 tonnes de 2018], mais il a depuis cessé de le faire », poursuit Jan Nieuwenhuijs. Hum, hum…

Mais il y a plus grave. L’affirmation selon laquelle « Les pièces et barres d’investissement et les pièces numismatiques et de collection constituent la grande majorité de nos stocks de surface typiques » est tout ce qu’il y a de plus fausse, comme l’indique Jan Nieuwenhuijs, et deux sources permettent de le vérifier.

La première est l’USGS (l’Institut d’études géologiques des États-Unis, un organisme gouvernemental américain qui se consacre aux sciences de la Terre), que l’analyste indépendant a interrogé à ce sujet. « Ils ont répondu que 1 740 000 tonnes d’argent avaient été extraites en date de 2017, dont 7 à 10 % ont été perdues », rapporte-t-il.Ce ne serait donc pas 79 308 tonnes d’argent qui auraient été extraites du sol depuis que l’Homme est Homme, mais un peu plus de 1 600 000 tonnes : 20 fois plus, donc…

La seconde source est le Silver Yearbook 2019 du CPM Group, qui confirme grosso modo le chiffre avancé par l’USGS, quoi que le CPM Group ne se prononce pas sur la quantité d’argent disparue des radars. Les chiffres du CPM Group sont particulièrement intéressants en cela qu’ils permettent de distinguer entre les différents usages qu’il était fait de l’argent métal en 2018.

Quantités d’argent métal en tonnes en 2018 par type d’utilisation

Comme vous pouvez le constater, sur les 1 700 000 tonnes d’argent métal existant à la surface du globe, près de 800 000 tonnes sont détenues sous la forme de bijoux, décoration et objets religieux, soit un tonnage à peu près équivalent à l’utilisation de l’argent dans le secteur industriel.

Ratio sock/flux et « demande de réservation » : la situation de l’argent n’est pas (tout à fait) la même que celle de l’or

Voilà ce qui amène Jan Nieuwenhuijs à conclure : « Pour en revenir à la question du ratio stock/flux de l’argent, je dirais qu’il se situe entre 30 et 60. Si vous prenez tous les lingots, les pièces, les bijoux et l’argenterie, vous arrivez à 30. Si vous ajoutez l’argent des produits industriels, vous arrivez à 60. »

Si l’on ne considère que les produits argentifères immédiatement mobilisables sur le marché, alors le ratio stock/flux de l’argent est presque deux fois moins élevé que celui de l’or (56), ce qui joue sans doute un rôle au niveau de la plus forte volatilité de l’argent vis-à-vis de l’or. Si l’on intègre l’argent utilisé à des fins industrielles, alors les deux ratios sont équivalents, et la « demande de réservation » ne joue pas pour expliquer la plus forte volatilité du cours de l’argent relativement à celui de l’or.

Sans doute la première hypothèse est-elle plus proche de la vérité. Il faudrait en effet que le prix de l’argent utilisé à des fins industrielles augmente dans de très fortes proportions pour que son usage soit abandonné au profit du recyclage, alors que les tiroirs des ménages regorgent d’argenterie. Tout a cependant un prix, même les actifs les plus lucratifs…

Notez qu’en ce qui concerne l’or, l’immense majorité du stock mondial est au contraire très rapidement mobilisable puisqu’en 2010, seuls 11% de l’or extrait du sol était utilisé à des fins industrielles, comme vous pouvez le constater sur cette illustration extraite de mon livre.

(N.B. : les « réserves souterraines » désignent les réserves souterraines identifiées en 2010, un chiffre en constante évolution.)

Au final, comme l’écrivent Stöferle et Valek dans leur dernier rapport In Gold We Trust, « L’or et l’argent ont, par rapport à d’autres produits de base, des niveaux inhabituellement élevés de stock à la surface du globe, de telle sorte que les fluctuations annuelles de l’offre ne sont pas une préoccupation urgente. »

Pour la petite histoire, ce n’est pas la première fois que le Silver Institute avance des informations pour le moins étonnantes, voir douteuses. Ce n’est pas une découverte pour vous si vous suivez Yannick Colleu sur son blog.

Bref, voilà ce qu’il me semble important d’avoir à l’esprit lorsque l’on se penche sur le cours de l’or ou de l’argent sur la base des forces en présence sur le marché.   

Lundi prochain, nous retrouverons Ronald Stöferle et Mark Valek pour entrer dans le vif du sujet en connaissance de cause !

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

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