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Régulièrement, les pouvoirs publics français aiment bien se rassurer en publiant des statistiques flatteuses sur le marché de l’emploi, et en particulier les fameux « chiffres du chômage » dont chaque variation à la baisse est encensée comme un petit miracle ouvrant la porte à l’espoir de jours meilleurs.

La publication du mois d’avril 2018 ne déroge pas à la règle, à plus forte raison car elle coïncide avec le premier anniversaire du président Macron à l’Élysée. Autant dire que là, pas question de faire dans la demi-mesure ni dans le morose.

On nous apprend donc que le chômage a baissé de presque 1% durant le premier trimestre 2018. Plus exactement, ce sont ainsi 32 100 personnes qui auraient quitté les bancs instables de la triste assemblée des demandeurs d’emploi.

Mais doit-on en déduire pour autant qu’il s’agit d’une bonne nouvelle ?

Une baisse du nombre de chômeurs ne correspond pas forcément à une baisse du chômage

J’en entends déjà qui grognent à l’encontre des râleurs impénitents dont je fais probablement partie et qui ne savent décidément pas s’accommoder de bonnes nouvelles quand elles se présentent. C’est vrai, comment peut-on encore se plaindre de la situation alors même que le chômage recule ?

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Peut-être parce que, justement, la baisse du nombre de demandeurs d’emploi ne signifie pas pour autant la baisse du chômage.

Mais commençons par rappeler brièvement de quoi on parle. Quand on dit que le nombre de demandeurs d’emploi a diminué en France, on compte en réalité uniquement les personnes recensées par Pôle Emploi dans la catégorie A (celles des personnes privées d’emploi). Aujourd’hui, cela représente exactement 3 695 400 personnes. C’est encore énorme, bien sûr, mais c’est le niveau le plus bas atteint depuis trois ans et demi. Donc, il convient d’appeler cela une bonne nouvelle.

Sauf que, des catégories de chômeurs chez Pôle Emploi, on en compte cinq. La catégorie A, donc, qui correspond aux personnes sans emploi ; les catégories B et C qui regroupent les gens au chômage partiel (2,2 millions de personnes) ; et les catégories D et E dans lesquelles on range les 6 à 700 000 personnes en stage, en maladie professionnelle ou encore en formation de reclassement mais qui n’en sont pas moins à la recherche d’un véritable emploi. Au total, le nombre réel de demandeurs d’emplois inscrits en tant que tels s’élève plutôt à 6,6 millions de personnes.

Et, histoire de nuancer encore un petit peu cette « excellente » nouvelle que constitue la baisse du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A (32 100 personnes, rappelons-le), Pôle Emploi précise que le nombre de chômeurs de catégorie B et C a augmenté dans le même temps de… 33 200 personnes. Voilà qui ressemble bigrement à une opération nulle.

Chômage de longue durée et précarité de l’emploi

Ceci étant dit, on pourrait malgré tout décider de considérer cette amélioration des statistiques du chômage comme un signe encourageant pour le marché de l’emploi. À condition bien sûr que les personnes concernées aient quitté les rangs des demandeurs d’emploi à la suite d’une embauche. Or, là encore, rien n’est moins sûr quand on sait qu’un grand nombre de personnes sortent chaque mois des listes de Pôle Emploi… sans pour autant avoir trouvé du travail. Ainsi, en faisant une moyenne mensuelle sur le premier trimestre 2018, on constate que 217 400 personnes sont radiées chaque mois pour défaut d’actualisation, 44 700 le sont pour avoir fraudé et 46 000 disparaissent pour cause d’emprisonnement, d’expulsion du territoire ou de décès.

Certes, de nouveaux arrivants viennent (ou reviennent) combler ce déficit pour maintenir un certain équilibre, mais il suffit par exemple que le nombre de radiations se retrouve brièvement plus élevé que celui des nouvelles inscriptions pour qu’on ait le sentiment d’une baisse du nombre de demandeurs d’emplois. Et pendant ce temps-là, en dehors de ces ajustements mensuels, le chômage de longue durée continue à progresser et concerne désormais plus de 2,6 millions de personnes en France.

Mais restons optimistes et imaginons qu’une partie des 32 100 individus qui ne sont plus demandeurs d’emploi aient réellement trouvé du travail (le journal Libération estime que cette issue positive concerne 20% d’entre eux), cela ne change rien à la dégradation générale du marché de l’emploi. Certes, le journal Ouest-France rappelait que « le nombre d’embauches, hors intérim, s’établit au niveau historique de 2,07 millions sur le premier trimestre 2018« , mais gardons à l’esprit que 9 contrats de travail sur 10 sont aujourd’hui conclus pour des durées déterminées (CDD) et que 72% d’entre eux concernent des missions inférieures à 1 mois. Et ces chiffres ne tiennent pas compte du travail intérimaire. Donc, de l’emploi, d’accord, mais de l’emploi majoritairement précaire.

Un contexte globalement négatif largement masqué

Finalement, est-il besoin de rappeler également que sur 1,8 millions de foyers bénéficiaires du RSA, seuls 800 000 sont inscrits à Pôle Emploi (ce qui signifie un million de chômeurs supplémentaires non répertoriés en catégorie A, B, C, D ou E) ? Peut-on évoquer sans rougir ces deux millions de bénéficiaires d’une allocation d’adulte handicapé ou d’une pension d’invalidité dont plus de la moitié ne sont pas inscrits à Pôle Emploi ? Encore un million de chômeurs supplémentaires dont les statistiques ne tiennent pas compte. Sans oublier les étudiants qui cherchent du travail pour financer leurs études et dont le statut leur interdit l’inscription sur les listes de demandeurs d’emploi, ou encore ces retraités pauvres, souvent veufs ou veuves, qui sont de facto exclus de la recherche d’emploi, etc.

Par conséquent, une baisse du nombre de demandeurs d’emploi de l’ordre de 32 100 inscriptions peut difficilement passer pour un véritable recul du chômage, mais quand bien même ce serait le cas, il s’agirait tout au plus d’une goutte d’eau dans l’océan de précarité dans laquelle la population française est en train de se noyer.

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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