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Le 16 mars dernier, notre ministre du logement Emmanuelle Cosse et le secrétaire d’État au Budget Christian Eckert lançaient un programme d’action pour « mobiliser le foncier en faveur du logement« , s’appuyant pour cela sur un rapport préconisant un certain nombre de mesures assez critiquables, au nombre desquelles on trouve la possibilité d’augmenter considérablement la taxe foncière.

Sur le plan strictement idéologique, le gouvernement est ici dans son rôle le plus emblématique, pour ne pas dire historique : faire payer les « riches » propriétaires terriens, à défaut de les contraindre à construire des logements pour les ouvriers. L’ennui, c’est qu’aujourd’hui, une mesure aussi mal préparée que celle qu’on nous promet aura surtout un impact négatif sur les couches moyennes, voire modestes, de la population. Décryptage.

Ce que dira la mesure… et ce qu’elle ne dira pas

Les rédacteurs du rapport ont observé, à juste titre, qu’un grand nombre de terrains restaient vierges de toute construction en France, alors que le besoin de nouveaux logements devient chaque année un peu plus criant. Or, selon eux, le meilleur moyen de lutter contre la rétention des terres serait de minorer, voir carrément de supprimer la taxation sur les cessions. Oui, oui, vous avez bien lu : supprimer purement et simplement les droits de mutation ainsi que les taxes sur les plus-values réalisées lors des ventes de terrains. Là, me direz-vous, cela ressemble davantage à une bonne nouvelle ! Alors, pourquoi s’en plaindre ?

Parce que derrière le discours de nos ministres, qui vont chercher à nous présenter cette mesure comme une aubaine, se dissimule une contrepartie nettement moins agréable. En effet, tandis qu’on supprimera la taxation sur les plus-values immobilières, on financera cette mesure par une hausse brutale de la taxe foncière, en particulier celle sur les terrains non-bâtis.

Concrètement, à quoi cela correspond-il ? Actuellement, les droits de mutation à titre onéreux collectés lors des transactions immobilières s’élèvent à un peu plus de 10 milliards d’euros par an, auxquels on peut ajouter 2,5 milliards au titre de la fiscalité sur les plus-values immobilières de cession (1 milliard en impôt sur le revenu et 1,5 milliards de prélèvements sociaux), complétés également par 4 milliards de taxes additionnelles et autres droits de mutations à titre gratuit (donations successions). Au total, on arrive donc à 16,5 milliards d’euros de recettes fiscales, dont un minimum de 250 millions correspondent aux seules transactions sur terrains nus.

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Or, la taxe foncière sur les propriétés non-bâties avoisine elle aussi les 250 millions d’euros par an, et il faudrait donc qu’elle passe à 500 millions (donc le double) pour couvrir l’éventuelle suppression de la fiscalité sur les ventes. Mais ce ne serait qu’un début, car les rédacteurs du rapport envisagent sérieusement d’étendre dès 2016 « le dispositif à une échelle plus large, marché immobilier compris », dans un programme qui devrait durer « une dizaine d’années ». Si vous revenez quelques lignes plus haut, vous verrez alors qu’en englobant l’ensemble du marché immobilier, ce ne seront plus 250 millions d’euros qu’il faudra trouver chaque année à échéance 2025… mais plusieurs milliards !

Là, convenez-en, c’est déjà beaucoup moins sympathique.

Augmenter la taxe foncière en deux leçons

Évidemment, l’État ne pourra pas se permettre de simplement multiplier par deux les taux d’imposition chaque année. La réforme devra passer par deux artifices d’ores et déjà prévus par le ministère du budget.

Premier artifice : remplacer la valeur locative par la valeur vénale pour le calcul de la taxe foncière. En effet, la taxe foncière sur les terrains est encore aujourd’hui liée à la perception qu’avaient les Français de la terre dans les années 60, à l’époque où l’agriculture étaient encore très présente, et c’est donc davantage sa valeur d’usage (la valeur locative) que sa valeur potentielle de revente (valeur vénale) qui sert de base à la taxe foncière. Or, même réévaluée chaque année, cette assiette fiscale reste passablement obsolète et, surtout, globalement sous-évaluée. Quand on sait que la valeur locative moyenne d’un terrain en France tourne aux alentours de 2000 € par hectare, alors que la valeur vénale s’établit, suivant les régions, entre 50 000 et 340 000 euros pour le même hectare, on comprend encore mieux l’intérêt de changer d’assiette. Certes, les pourcentages ne seraient sans doute plus les mêmes (en tout cas, espérons-le !) mais doutons que ce soit au bénéfice des contribuables

Second artifice : supprimer tous les abattements fiscaux liés à la durée de détention des terrains vendus. En effet, la législation actuelle, même si elle a été récemment rabotée, permet de réduire le montant des plus-values imposables en cas de cession d’un bien immobilier détenu depuis un certain nombre d’années, à tel point qu’après 30 ans de détention la plus-value imposable est réduite à zéro. Or, selon le rapport précité, supprimer les abattements pour durée de détention favoriserait la fluidité des transactions et la libération du foncier.

Une réforme mal préparée par des gens mal informés

Une telle mesure, si elle devait prendre effet, appelle un grand nombre de remarques, si ce n’est de critiques.

Tout d’abord, le rapport sur lequel la ministre s’appuie ne semble tenir aucun compte de la différence entre terrains non-bâtis constructibles et non-constructibles. C’est bien beau de vouloir contraindre les propriétaires à libérer du foncier pour bâtir, mais faut-il alors pour cela réviser aussi les plans locaux d’urbanisme pour supprimer la notion de zone non-constructible ? Évidemment non, mais alors comment ne pas trouver injuste une taxe foncière révisée à la hausse qui concernerait également les propriétaires de terrains qui ne pourraient de toute façon pas être constructibles ? Car, oui, tout le monde paie la taxe foncière !

Ensuite, qu’en sera-t-il pour les propriétaires dont les terres, bien qu’en zone constructible, ne sont pas propices à la construction (mal situées, trop en pente, difficiles d’accès, etc..) et qui n’arriveront pas à vendre leur bien suffisamment vite. Ne risquent-ils pas de devoir là encore supporter un impôt injuste et de plus en plus lourd sans possibilité de s’y soustraire avec la meilleure volonté du monde ?

Et que dire des terrains donnés aux enfants par des parents qui souhaitent ainsi faciliter leur installation ? Sauf à avoir les moyens d’y construire rapidement un logement, les destinataires de ces donations risquent d’être si lourdement taxés dès le départ qu’ils pourraient bien se trouver dans l’incapacité de financer la moindre construction. Une aberration totale.

On pourrait aussi évoquer la législation du permis de construire qui offre un délai de plusieurs années avant le début effectif des travaux de construction. Y aura-t-il des dérogations pour ces cas particuliers, ou bien les accédants à la propriété devront-il payer la surtaxe sur le foncier non-bâti durant tout le temps précédant la pose de la première pierre ?

Quant aux terrains non-bâtis détenus par les professionnels, vont-ils bénéficier d’une exonération de TVA pour compenser l’augmentation des taxes foncières ?

Enfin, la suppression (ou même la minoration) des droits de mutation ne risque-t-elle pas de déclencher une envolée des prix du foncier en France, et d’entraîner une véritable spéculation sur les terres dont certaines parcelles pourraient bien ne plus être que des pompes à plus-values en passant de propriétaires en propriétaires, au gré d’une chaîne de cessions sans fin ? Avec comme effet secondaire une augmentation explosive des prix du marché.

Autant d’interrogations qui ne semblent pas avoir été prises en compte par ces gens (rapporteurs et ministres) sans doute mal informés des conditions économiques actuelles, et qui n’ont pas envisagé le caractère patrimonial de la terre, véritable héritage familial pour certains, ou simple « placement refuge » pour d’autres. Espérons seulement que le gouvernement nous gratifiera une fois encore d’un de ces renoncements dont il a le secret, car sur cette mesure en tout cas, la persévérance pourrait bien s’avérer catastrophique.

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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