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La Chine poursuit des objectifs multiples: développer son architecture financière, accroître l’usage du yuan dans le commerce international et les réserves de change, et étendre sa domination économique sur l’Asie. L’année passée, je vous ai raconté comment le projet de « Nouvelle route de la soie », développé depuis 2013, va permettre à l’Empire du Milieu d’élargir sa zone d’influence. Aujourd’hui, je vais vous parler de la toute dernière arme économique de Pékin : l’e-yuan.

Pourquoi la Chine a-t-elle besoin de l’e-yuan ?

Dans le rapport In Gold We Trust 2020, Ronald Stöferle et Mark Valek (S&V) ont annoncé au sujet de la dédollarisation que « la fin de partie a commencé ». Dans la dernière édition de leur rapport, les deux Autrichiens nous donnent leur point de vue sur l’un des faits les plus marquants de la période 2020/2021 : l’accélération du projet chinois de monnaie numérique de banque centrale (MNBC).

Pour S&V, c’est lors de Jeux olympiques d’hiver que Pékin accueillera en février 2022 que la Chine dévoilera au monde la version finale de son « digital yuan ». Les deux Autrichiens relèvent 5 raisons pour lesquelles la Chine est largement en avance sur les autres grandes économies au niveau des MNBC :

  • « La Chine considère le renminbi numérique comme une autre arme dans sa lutte contre la domination du dollar américain en Asie et dans le monde.
  • À long terme, la Chine veut remplacer les États-Unis en tant que centre financier mondial et « banquier du monde ».
  • Le renminbi numérique est destiné à donner au Parti communiste chinois le contrôle de tous les flux de paiement et à contribuer ainsi à parfaire la surveillance de ses propres citoyens.
  • Le renminbi numérique devrait briser la domination des deux systèmes de paiement numérique utilisés jusqu’à présent, Alipay et WeChat Pay.
  • De plus, le renminbi numérique est conçu pour écarter la menace que représentent les monnaies privées comme le Diem de Facebook et les monnaies décentralisées comme le Bitcoin. »

Comment l’e-yuan va-t-il bouleverser le système monétaire international ?

Pour ce qui est des deux premiers objectifs, la Chine part de très loin. Comme je l’ai déjà évoqué, à fin 2020, la part du dollar dans les réserves de change se montait encore à 59% (un plus bas depuis 1995), celle de l’euro à 21,2% et celle du yuan à 2,3%. Pour imposer à long terme sa devise comme une alternative au dollar, S&V indiquent que « Pékin doit créer des marchés obligataires vastes et liquides. Et c’est exactement ce que la Chine est en train de faire », comme nous l’avons vu dans un précédent billet.

Mais ce n’est pas tout car « La Chine et le renminbi ne resteront attractifs à long terme que si la banque centrale et le gouvernement interviennent moins fréquemment, libèrent les marchés de capitaux et laissent le marché déterminer le taux de change », ajoutent S&V. Pékin a encore énormément à faire à ce sujet, mais les deux Autrichiens indiquent que tout cela est dans les tuyaux.

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Ce n’est pas tout puisqu’à en croire un article du Financial Times publié le 16 février 2021, un directeur d’une banque d’État chinoise aurait fait la déclaration suivante : « Un de nos plus grands objectifs est de contester la domination du dollar américain dans le règlement des échanges internationaux. Mais les progrès dans ce sens ne seront que progressifs », comme le soulignent S&V.

A cet égard, une MNBC ouvre la possibilité de faciliter le commerce et les règlements bilatéraux sans passer par le détour du dollar américain. Comme l’expliquait Jean-Jacques Handali dans un billet du 8 juin publié sur La Tribune, « Avec la prépondérance du dollar, les États-Unis contrôlent une large partie du circuit financier mondial. Ils peuvent ainsi sceller le sort économique d’une entreprise, d’une banque ou même d’un pays tout entier par simple décret. Leur hégémonie est telle qu’ils ne se satisfont pas d’interdire aux entreprises américaines de commercer avec le pays honni, mais empêchent toute entité, quelle que soit sa nationalité, d’utiliser des dollars dans les transactions avec ledit pays. » A cet égard, une MNBC faciliterait en particulier les importations chinoises de pétrole depuis des Etats pâtissant régulièrement des sanctions américaines, comme c’est le cas de l’Iran.

Et là où les choses deviennent cocasses, c’est qu’ « En dépit de cet objectif, la Chine a même créé une joint-venture avec le système de paiement SWIFT dominé par les États-Unis pour promouvoir l’e-yuan. Cette nouvelle société, nommée Finance Gateway Information Services Co, a pour mission d’intégrer la monnaie numérique dans les systèmes internationaux. L’un des partenaires de cette joint-venture est le système chinois de paiement interbancaire transfrontalier (CIPS), qui a été fondé à l’origine comme une alternative à SWIFT. Ils travaillent désormais ensemble. » Pourquoi les Etats-Unis ont-ils approuvé cette coentreprise ? S&V ne l’expliquent pas.

Comment l’e-yuan va-t-il permettre au Parti communiste chinois d’accroître le contrôle sur sa population ?

Pour ce qui est des 3ème et 4ème objectifs, il faut savoir que contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer depuis l’Europe, la Chine est l’un des pays où les moyens de paiement mobiles sont les plus utilisés. Pour vous donner un ordre d’idée, en 2019, les Alipay (Ant Group) et autres WeChat Pay (Tencent) ont traité l’équivalent de 500 000 Mds$ de paiements, soit 35 fois le PIB chinois. Dans le même temps, c’étaient seulement 100 000 Mds$ qui étaient réglés par voie numérique aux Etats-Unis, soit environ 5 fois le PIB américain. Au vu de tels chiffres, on comprend mieux pourquoi Jack Ma a disparu des radars dès qu’il a levé une oreille de trop.

Sur le plan de l’avancement vers une société sans cash, la Chine n’a donc rien à envier à la Suède. Comme le relèvent S&V, « L’argent liquide est désormais si impopulaire en Chine que l’État l’utilise comme punition. Fin 2020, l’agence de presse étatique Xinhua a rapporté qu’un tribunal de la province de Guangdong, dans le sud de la Chine, avait condamné plus de 2 400 contrevenants à ne plus pouvoir effectuer de paiements numériques pendant cinq ans. » Dans cette économie où les paiements mobiles sont omniprésents et le cash est de moins en moins accepté, une telle sanction a un parfum d’exclusion sociale.

Bref, comme le relèvent S&V, « Le e-yuan est l’antiBitcoin. Il a été développé et est émis par un État. S’il vise à améliorer le rôle international et la circulation de la devise nationale chinoise, il a également pour but d’accroitre le contrôle du gouvernement sur ses citoyens. » Comme l’indiquait Peter Thiel en avril 2021 lors d’une conférence pour la Nixon Foundation, « l’e-yuan n’est pas une crypto-monnaie, mais une mesure totalitaire. »

Voilà pour la Chine.

Les autorités publiques chinoises ont-elles une chance d’atteindre leurs objectifs avec le yuan numérique ? A l’intérieur de la Chine, sans aucun doute. Pékin pourrait même l’imposer dans sa zone d’influence. Cependant, pour les économies libres de la domination chinoise, « Qui, en dehors de la Chine, souhaite utiliser une monnaie qui permet au parti communiste de Pékin de voir chaque transaction ? », demandent S&V.

La nature ayant horreur du vide, il y a donc de la place pour une concurrence reposant sur d’autres règles du jeu, comme je vous le raconterai la semaine prochaine.

A lundi !

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

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