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La relation entre Moscou et Pékin ne s’est jamais aussi bien portée, mue par un désir commun d’en finir avec l’hégémonie du dollar. Mais ce n’est pas tout : Washington pourrait bien être en passe de perdre son allié le plus important au Moyen-Orient. Comme l’expliquent Ronald-Peter Stöferle et Mark J. Valek dans la 16ème édition de leur rapport In Gold We Trust, « un nouvel ordre international émerge »… Bienvenue dans le billet conclusif de ce feuilleton consacré à la guerre des monnaies !

Fin 2022 : « Xi et MBS : quasiment meilleurs amis »

« MBS », c’est Mohammed ben Salmane (ben Abdelaziz Al Saoud), le prince héritier d’Arabie saoudite et vice-Premier ministre depuis le 21 juin 2017.

Sous Barack Obama (2009-2017), les Etats-Unis ont activement tourné le dos à l’Arabie saoudite. L’accord de Vienne signé le 14 juillet 2015, visant à contrôler le programme nucléaire iranien et permettre la levée progressive des sanctions économiques qui touchaient le pays, n’a évidemment pas été apprécié par l’Arabie saoudite, l’autre poids lourd de la région.

Les relations entre Riyad et Washington se sont réchauffées sous Donald Trump (2017-2021) qui a annoncé le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne le 8 mai 2018, tout en renforçant les sanctions économiques contre l’Iran.

La situation s’est à nouveau tendue avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden. Non seulement le président américain n’a pas digéré l’assassinat du journaliste dissident Jamal Khashoggi, mais il considère que son homologue n’est pas MBS mais son père, le roi Salmane. Pour ne rien arranger, l’administration Biden travaille à un retour de l’ensemble des parties aux conditions de l’accord de Vienne au sujet du nucléaire iranien, et refuse de soutenir l’intervention de la coalition menée par l’Arabie saoudite dans la Guerre civile yéménite.

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L’invasion de l’Ukraine par la Russie a été une nouvelle occasion pour Riyad de montrer dans quelle direction tend sa loyauté. Quelques jours après le début des hostilités, la Maison blanche a passé plusieurs coups de fil en Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, mais personne n’a décroché…

8 mars 2022 : « Les dirigeants saoudiens et émiratis refusent les appels de Biden pendant la crise ukrainienne »

Or pour les Etats-Unis, il est crucial de rester en bons termes avec Riyad, l’Arabie saoudite étant leur allié majeur au Moyen-Orient, et le « facteur décisif » de l’établissement « d’un monde dans lequel environ 80% du pétrole se négocie en dollars », rappellent S&V.

Cependant, c’est désormais pour Pékin que bat le cœur de l’Arabie saoudite. Comme le relèvent S&V, « Quelques semaines seulement après l’invasion russe en Ukraine, une invitation a été envoyée de Riyad à Pékin : le président Xi Jinping était invité à se rendre dans le royaume. C’est le signal le plus clair que l’Arabie saoudite ait jamais envoyé pour montrer que l’État pétrolier se tourne vers l’Est. »

Depuis 2016, Pékin exerce un lobbying intensif auprès de l’Arabie saoudite afin que Riyad accepte de que son plus gros client (25% des exportations de pétrole saoudiennes) lui règle son pétrole en yuans plutôt qu’en dollars.

Or quelques semaines avant l’éventuelle visite de Xi au mois de mai, « l’Arabie saoudite a de nouveau signalé sa volonté d’accepter prochainement le yuan », comme le relèvent S&V.

15 mars 2022 : « L’Arabie saoudite envisage d’accepter le yuan à la place du dollar dans son commerce pétrolier avec la Chine  »

Cela ne fait évidemment pas les affaires de Washington. Comme le relève Gal Luft, co-directeur de l’Institut pour l’analyse de la sécurité mondiale à Washington : « Le marché du pétrole et par extension l’ensemble du marché mondial des matières premières est la police d’assurance du statut du dollar en tant que monnaie de réserve. Si ce bloc est retiré du mur, le mur commencera à s’effondrer. »

La non-convertibilité du yuan et le strict contrôle des capitaux dont fait l’objet l’économie chinoise pourraient bien être les deux derniers obstacles sur la voie du commerce du pétrole saoudien dans la devise chinoise.

Notez que la relation entre la Chine et l’Arabie saoudite ne se limite pas au champ commercial. Depuis fin 2021, les deux pays travaillent de concert sur un programme militaire portant sur des missiles. Autant dire que le deal américano-saoudien « pétrole en dollar contre protection militaire et matérielle » a du plomb dans l’aile…

En somme, comme l’indiquent S&V, « Il semble que les relations exclusives entre l’Arabie saoudite et les États-Unis soient enfin de l’histoire ancienne. »

Objectif « Bye bye, pétrodollars » chez les Saoud ?

Mi-octobre, une nouvelle, qui n’est me semble-t-il pas apparue sur les radars de la presse française, est venue accréditer cette thèse. Il s’agit d’une déclaration du président sud-africain, Cyril Ramaphosa. Quel rapport entre l’Arabie saoudite et l’Afrique du Sud ? Pour le moment, rien de très significatif. Mais cela pourrait changer dès l’année dès l’année prochaine.

En effet, durant le week-end des 15 et 16 octobre, Cyril Ramaphosa était en visite officielle à Riyad. Ce dernier « a déclaré que MBS avait exprimé le souhait de rejoindre les nations BRICS, un bloc économique composé des principales économies émergentes, dont la Russie », selon les informations du Washington Post. La question sera examinée l’année prochaine, alors que les BRICS se réuniront en sommet sous la présidence de l’Afrique du Sud.

Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud et Arabie saoudite réunies au sein d’un même bloc économique ? Voilà qui rappelle cette de citation de Glazyev : « La 3ème et dernière phase de la transition vers le nouvel ordre économique impliquera la création d’une nouvelle monnaie de paiement numérique fondée sur un accord international reposant sur des principes de transparence, d’équité, de bonne volonté et d’efficacité. Je m’attends à ce que le modèle d’une telle unité [de compte] monétaire que nous avons développé joue son rôle à ce stade. Une telle monnaie peut être émise sur la base d’un pool de devises de réserves des BRICS, auquel tous les pays intéressés pourront adhérer. » Apparemment, MBS ne souhaite pas arriver en retard à la fête.

19 octobre 2022 : « Maintenant que les Saoudiens ont manifesté leur intérêt pour l’adhésion aux BRICS, il semble qu’ils aient décidé de rompre avec Washington et de ne plus utiliser le dollar pour le commerce du pétrole, ce sera selon moi la période la plus dangereuse de l’histoire de l’Arabie saoudite Sud.“

Autant vous dire que les Etats-Unis n’assisteront pas à ce genre de revirement les bras croisés. Vous vous souvenez ce qu’il s’est passé les dernières fois qu’un pays producteur de pétrole a voulu délaisser le dollar ?

« Compte tenu de ce risque, les États-Unis feront tout ce qui est en leur pouvoir pour l’empêcher de se produire, y compris la guerre, comme en témoigne l’invasion de l’Irak, de la Libye, etc. La transition du dollar doit être accompagnée d’un accord de sécurité (militaire) avec la Chine ou la Russie… »

« Le nouvel ordre monétaire est multipolaire »

Le 24 mars, un mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le FMI a publié un rapport au titre « très significatif », relèvent S&V. Ce rapport s’intitule en effet « L’érosion furtive de la domination du dollar : les diversificateurs actifs et l’essor des monnaies de réserve non traditionnelles. »

Rappelons que le FMI est ni plus ni moins que « le gardien de l’ordre fondé sur le dollar américain », pour reprendre la formule de S&V.

Comme on le constate sur ce graphique, la part des réserves détenues sous d’autres formes que les devises occidentales est passée d’environ 2% lors de la Grande crise financière de 2008-2009, à plus de 10% aujourd’hui – la guerre en Ukraine ayant accéléré ce processus.

Réserves de change allouées non détenues en USD, EUR, JPY et GBP, en % du total mondial, T1/1999-Q4/2021

La suite de l’Histoire n’est pas gravée dans le marbre, mais Jerome Powell a concédé le 2 mars 2022 qu’« Il est possible d’avoir plus d’une grande monnaie de réserve. »

Quand la fenêtre sur l’or « s’ouvre de nouveau »…

Pour S&V, « Ce à quoi ressemblera l’architecture monétaire mondiale lorsque la poussière sera retombée n’est pas très clair. […] Cependant, les tendances que nous avons documentées dans ce chapitre pointent dans deux directions : le monde deviendra soit multipolaire, soit bipolaire, en fonction des choix de l’Europe. Par ailleurs, les métaux et les matières premières deviendront plus importants et seront directement ou indirectement intégrés dans le système monétaire.

Nous sommes à la fin d’un processus qui a commencé en 1944. Si Keynes avait été écouté à l’époque, le monde serait peut-être différent aujourd’hui. Cependant, toutes les tentatives de créer un système monétaire régi par des règles ont échoué. Les politiciens aiment vanter les mérites des droits de tirage spéciaux mais cela pourrait n’être qu’un leurre, une façon de souligner leur mécontentement à l’égard du système du dollar américain sans apporter leur propre solution. L’euro est peut-être le meilleur exemple de ce qui arrive avec un système monétaire international fondé sur des règles : ces règles ont été immédiatement bafouées. […]

L’Europe est une fois de plus prise entre le marteau et l’enclume. Le rôle de l’euro est plus que jamais remis en question. Est-il un « instrument de la nouvelle souveraineté européenne », comme l’a dit l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker ? Ou bien est-il sans valeur pour le reste du monde parce que l’UE a (jusqu’à présent) suivi les sanctions [américaines] contre la Russie ? Au moment où nous écrivons ces lignes, beaucoup de choses évoluent et de nombreuses questions restent sans réponse.

Quoi qu’il en soit, grâce à ses importantes réserves d’or, l’Europe devrait au moins être bien préparée pour ce qui va arriver. Car ce à quoi nous assistons peut être décrit comme le « retour au réel » [‘’return of real stuff’’], […] à un monde dans lequel les monnaies trouvent leur ancrage dans le tangible, dans les matières premières, sans ancrage direct vis-à-vis de celles-ci mais au travers d’un système flexible testé quotidiennement par le marché. […] C’est quelque chose que les Européens, les Russes et les Chinois souhaitent depuis de nombreuses décennies […].

Il n’est pas facile de mettre des mots sur ce nouvel ordre monétaire, car il est extrêmement dynamique. Cependant, les déclarations et les actions des chefs d’État […] vont toutes dans ce sens. L’analyste Zoltan Pozsar du Credit Suisse l’appelle « Bretton Woods III », mais ce nouveau système mérite bien un nom à part entière. Des cendres du dollar américain adossé à l’or et du pétrodollar émergera quelque chose de complètement nouveau, qui n’a plus rien à voir avec Bretton Woods. […]

N’oublions pas [enfin] que les États-Unis disposent d’importantes réserves de matières premières et de 8000 tonnes d’or. Ces dernières n’ont pas été utilisées depuis que Richard Nixon a déclaré la fenêtre sur l’or fermée. Aujourd’hui, elle s’ouvre de nouveau. »

Voilà, nous arrivons à la fin de notre feuilleton sur l’évolution du système monétaire ! Gardez ce graphique sous le coude, il faudra sans doute bientôt le modifier !

Le statut de réserve monétaire ne dure pas éternellement

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

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