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Les organisations internationales comme le FMI et la BRI ne tiennent pas les cryptoactifs en odeur de sainteté. Elles leur préfèrent les monnaies numériques de banques centrales (MNBC) contrôlées à 100% par les États. Plusieurs projets de plateformes d’échanges de MNBC sont en développement, ce qui en dit long sur la reconfiguration géopolitique à l’œuvre…

Le FMI « travaille dur » à sa plateforme d’échange de MNBC/CBDC (définition en cours)

Le Fonds monétaire international (FMI) « travaille dur » sur un nouveau concept, a déclaré Kristalina Georgieva, le 19 juin. Lors d’une conférence à Rabat, la directrice générale du FMI a présenté les grandes lignes de son projet d’infrastructure mondiale qui garantirait l’interopérabilité des règlements entre les différentes monnaies numériques de banques centrales (MNBC).

En clair, il s’agit de créer une plateforme (pour le moment nommée « plateforme XC ») sur laquelle les MDBC du monde entier, ces initiatives séparées, pourraient être échangées les unes contre les autres. « La plateforme XC devrait être facilement accessible et pourrait permettre aux institutions d’effectuer des opérations transfrontalières sans qu’elles aient forcément besoin de disposer d’un compte de réserve auprès d’une banque centrale », explique CoinTribune. Comme on peut le lire sur CryptoActu, « il est vrai que jusqu’à présent, les projets axés sur la création de CBDC ont semblé négliger cet aspect-là, se contentant quand ils existent de circonscrire les paiements transfrontaliers 2.0 à une poignée de pays voisins. »

Europe, BCE, Banque de France : quand sera mis en place l’euro numérique ?

Enfin cela aura lieu une fois que les MNBC seront opérationnelles… Actuellement, une grosse centaine de banques centrales travaillent sur leurs propres projets de MNBC, « dont une dizaine a déjà franchi la ligne d’arrivée », selon Kristalina Georgieva. Aux dernières nouvelles, l’avènement de l’euro numérique n’est pas prévu avant 2027 ou 2028. On est donc sur un projet à moyen terme.

Quoi qu’il en soit, le discours du FMI est mâtiné d’éléments de langages qui se veulent rassurant, tournant autour des thèmes de la facilitation et de la sécurisation des échanges, de l’inclusion financière,  de la justice, etc. Pour mener ces projets à bien, il faut donc connecter les différents pays entre eux.

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Jusque-là, rien que de très logique.

Le FMI n’aime toujours pas les cryptos

Cependant, au-delà de cette pommade anesthésique, l’objectif N°1 du FMI est clair : œuvrer à ce que les monnaies publiques conservent leur monopole en luttant contre l’expansion des cryptoactifs privés, ces « investissements spéculatifs » lorsqu’ils ne sont pas indexés sur une MNBC, à en croire Kristalina Georgieva. Pour citer à nouveau la bulgare, il ne faudrait pas que les cryptos remplissent « le vide très certainement créé » par l’absence d’une plateforme du genre de celle que le FMI est en train de nous concocter.

Comment fonctionne l’argent numérique ?

Au contraire, les MNBC, du point de vue des bureaucrates du FMI, c’est la panacée. Ce propos tenu le 14 octobre 2022 par Bo Li résume en quelques mots la synthèse que je vous avais proposée fin 2021 au sujet des MNBC : avec la programmabilité potentielle des MNBC, « on peut contrôler précisément ce que peuvent et ne peuvent pas détenir les gens, et à quels usages peut servir cet argent, par exemple l’achat de nourriture », pour reprendre les mots du directeur adjoint du FMI.

Merveilleux.

Fermons cette parenthèse pour nous poser la question suivante : la plateforme sur laquelle travaille le FMI a-t-elle seulement vocation à permettre l’interopérabilité des MNBC et à lutter contre les cryptoactifs privés ?

Je ne pense pas.

Et pour cause, il existe un autre projet plus ancien visant à assurer l’interopérabilité des MNBC…

Le projet mBridge de la Chine et de la BRI : « connecter les économies grâce aux monnaies numériques/digitales de banque centrale »

Ce projet est développé par la Chine et certains de ses alliés, en collaboration avec la Banque des règlements internationaux (BRI) depuis 2017.

De quoi s’agit-il ?

Une nouvelle blockchain

Voici comment le hub d’innovation de la BRI a présenté cette initiative le 26 octobre 2022 :

« Le projet mBridge est le fruit d’une collaboration entre le Hub d’innovation de la BRI de Hong Kong Centre, l’Autorité monétaire de Hong Kong, la Banque de Thaïlande, le Digital Currency Institute de la Banque populaire de Chine et la Banque centrale des Émirats arabes unis.

Après avoir expérimenté différentes architectures technologiques au cours des phases précédentes du projet, l’équipe a développé une nouvelle blockchain – le Ledger mBridge – conçue sur mesure par les banques centrales pour les banques centrales afin de servir de plateforme spécialisée et flexible pour la mise en œuvre de paiements transfrontaliers multi-devises dans les monnaies numériques des banques centrales (MNBC).

Pendant six semaines en 2022, la plateforme mBridge a été mise à l’épreuve dans le cadre d’un projet pilote impliquant des transactions de valeur réelle entre 20 banques commerciales de 4 juridictions différentes. Le projet pilote fait progresser l’expérimentation multi-CBDC [d’où le nom du projet : multi CBDC bridge = pont multi-MNBC = mBridge] en réglant des valeurs réelles directement sur la plateforme pour le compte d’entreprises clientes. Plus de 12 millions de dollars ont été émis sur la plateforme, facilitant plus de 160 transactions de paiement et de change de pair à pair pour une valeur totale de plus de 22 millions de dollars. »

Commerce intra-groupe entre les 4 juridictions du projet mBridge (Mds $, 2021)

Le réseau de la plateforme mBridge

Quid de la suite ?

Officiellement, les prochaines étapes du projet devraient inclure de nouveaux types d’utilisation et de nouveaux participants, ainsi que des développements en termes de cadre juridique et de gouvernance.

Les étapes du projet mBridge

Quel sens donner à ce projet ?

Le projet mBridge ouvre la voie au pétroyuan

Comme le fait remarquer CoinTribune, « ce type d’échange favorisera une meilleure intégration sur le plan financier, avec des innovations dans les transferts transfrontaliers. L’inclusion financière avec un accès facile, rapide et peu onéreux des paiements transfrontaliers, est l’une des priorités du G20. »

C’est sans doute vrai, mais il ne faut pas en rester là.

La lecture du rapport In Gold We Trust (IGWT) 2023 permet de pousser l’analyse beaucoup plus loin.

Pour comprendre de quoi il retourne, il faut tout d’abord avoir à l’esprit que le FMI, qui a son siège à Washington, est dominé par les intérêts américains, quand les Européens ont plus de poids au sein de la BRI, dont le siège est à Bâle, en Suisse.

Il faut ensuite en revenir à cette citation de Xi Jingping que je vous ai déjà présentée… mais dont j’avais jusqu’à présent caviardé la dernière phrase !

« Dans les trois à cinq prochaines années, la Chine est prête à travailler avec les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) dans les domaines prioritaires suivants : premièrement, la mise en place d’un nouveau paradigme de coopération énergétique multidimensionnelle. La Chine continuera d’importer à long terme de grandes quantités de pétrole brut des pays du CCG et d’acheter davantage de GNL. Nous renforcerons notre coopération dans le secteur en amont, les services d’ingénierie, ainsi que le stockage, le transport et le raffinage du pétrole et du gaz. La plateforme de la Bourse du pétrole et du gaz naturel de Shanghai sera pleinement utilisée pour le règlement en renminbis des échanges de pétrole et de gaz.

Les deux parties pourraient entamer une coopération en matière d’échange de devises, approfondir la coopération dans le domaine des monnaies numériques et faire avancer le projet mBridge. »

Que faut-il penser de tout cela ?

Avec le projet mBridge, certaines banques centrales vont dédollariser les échanges inter-MNBC

Comme le souligne Zoltan Pozsar, ce projet « est une masterclass en matière de plomberie [monétaire] : [il] permet d’effectuer des transactions transfrontalières et des opérations de change en temps réel, de pair à pair, en utilisant les MNBC, et ce sans impliquer le dollar américain ni le réseau de banques occidentales sur lequel repose le système du dollar américain. Plutôt intéressant, non ? À la manière de l’Oncle Sam, la Chine veut une plus grande part du pétrole des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), elle veut le payer en renminbi et elle veut que le CCG accepte le e-yuan sur la plateforme mBridge, alors n’hésitez pas – rejoignez le train rapide du mBridge. »

Et pour cause, on en revient à l’alléchant ordre monétaire proposé par Pékin dont je vous parlais dans un précédant billet : en résumé, et pour reprendre la formule de Zoltan Pozsar, « la convertibilité en or l’emporte sur la convertibilité en dollars »…

Le projet mBridge pourrait bien jouer un rôle central au regard de ce changement de paradigme à venir. Comme l’anticipe Zoltan Pozsar : « Xi promet une coopération plus étroite en matière de swaps de devises et évoque la perspective d’utiliser le projet mBridge. Ce point est également très important, car le président chinois nous explique exactement comment ce nouvel ordre mondial sera mis en pratique. Il explique clairement comment la Chine et les pays pétroliers veulent contourner le dollar américain à l’avenir. Et, pour dissiper tout doute, le ministre saoudien des finances, Mohammed Al-Jadaan, est apparu devant les caméras en janvier 2023 et a déclaré qu’ils étaient ouverts à d’autres monnaies que le dollar américain. »

On en revient à la formule de Zoltan Pozsar : « pétrole du Conseil de coopération du Golfe s’écoulant vers l’Est + facturation en renminbi = aube du pétroyuan », donc crépuscule du pétrodollar.

Que retenir de tout cela ?

Au moins 3 choses :

  • Il faut s’attendre à ce que le projet mBridge intègre de nouveaux partenaires, lesquels ne feront sans doute pas partie du bloc constitué par l’Amérique du Nord, le Royaume-Uni, l’Australie et le Japon ;
  • Le FMI continuera de développer son projet de plateforme XC afin de proposer une alternative aux pays susceptibles de rejoindre les BRICS, et minimiser les dégâts du point de vue des États-Unis ;
  • Le destin de l’Europe, acquise au camp occidental au plan militaire, mais qui joue certaines de ses propres cartes au plan économique et financier, reste un point d’interrogation.

Enfin, à ces deux projets de plateforme d’échange publiques de MNBC, il faudra ajouter des initiatives privées. Fin 2022, SWIFT a dévoilé son propre pont permettant aux cryptoactifs, MNBC incluses, « de circuler et d’interagir avec leurs homologues traditionnels ».

“What a time to be alive!”, comme disent les Anglosaxons !

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

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