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L’Empire du Milieu a quelques excellentes raisons de vouloir se passer du dollar, cette devise hégémonique dont les Etats-Unis ont fait un « outil de lutte politique », pour reprendre l’expression de Vladimir Poutine.  

Cependant, les dirigeants chinois ne sont pas toujours du genre à jouer cartes sur table, comme en témoigne par exemple la politique de communication très opaque de la Banque populaire de Chine (PBoC) au sujet de ses réserves d’or. Tout le monde sait que quelque chose se trame dans l’Empire du Milieu mais personne ne sait exactement ce que nous réserve Pékin. Ce qui est sûr, c’est que la Chine compte bien a minima se « dédollariser ».

Mais qu’est-ce que cela signifie ? Les dirigeants chinois visent-ils à renverser la table et à substituer le yuan au dollar en tant que monnaie de réserve mondiale et monnaie d’échange dans le cadre du commerce international, ou bien leurs ambitions sont-elles plus mesurées ?

Tout au plus peut-on émettre des hypothèses. Je ne suis pas dans la tête de Xi Jinping, mais j’en ai une à vous proposer. Avant de vous la livrer, il va me falloir retracer les grandes étapes de ce que me semble être la stratégie chinoise dans la « guerre des monnaies » version XXIe siècle, depuis la Grande crise financière de 2008-2009 à la dernière manœuvre en date que constitue la prise de contrôle de Hong Kong.

Lorsque j’aurai réuni toutes les pièces du puzzle, le moment sera venu de me mouiller.

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Quoi qu’il en soit, ne vous y trompez pas : ce que nous préparent les Chinois constitue une évolution au moins aussi importante que l’a été la création de l’euro. A l’instar de l’Europe, la Chine aura besoin de plusieurs dizaines d’années pour mener sa stratégie à terme. J’en ai évoqué les fondations dans mon livre publié en 2013. Depuis, 7 années se sont écoulées et l’on discerne beaucoup mieux les contours de cet édifice qui a déjà pris une ampleur considérable. Voyez donc.

« Tout le succès d’une opération réside dans sa préparation. » (Sun Tzu)

Dans leur rapport In Gold We Trust 2020, Ronald Stöferle et Mark Valek (S&V) proposent une chronologie des étapes les plus importantes franchies par différents Etats ou groupes d’Etats sur la voie de la reconquête de leur souveraineté monétaire. Ci-dessous, j’ai regroupé tout ce qui concerne la Chine, et je me suis permis de faire figurer quelques ajouts et points de repère entre crochets :

[1975 : ouverture de l’économie chinoise au reste du monde avec la mise en œuvre de la stratégie politique de Deng Xiaoping (kaifang).]

[1983 : la détention d’or par les particuliers est à nouveau autorisée.]

[2001 : le commerce d’or sur le territoire national chinois est à nouveau autorisé.]

[2001 : la Chine rejoint l’Organisation mondiale du commerce (OMC).]

[2001 : l’Etat chinois autorise les particuliers à diversifier leur épargne en achetant de l’or.]

[2002 : fondation du Shanghai Gold Exchange (SGE) par la PBoC.]

[2008-2009 : suite à la Grande crise financière née aux Etats-Unis, les marchés monétaires américains se ferment, stoppant net le commerce inter asiatique qui a lieu essentiellement en dollars, mettant à mal les économies locales.]

« Mars 2009 : le chef de la PBoC [Zhou Xiaochuan] appelle au remplacement du dollar américain en tant que première monnaie mondiale.

[2009 : les banques centrales chinoises et russes commencent à significativement accroître leurs achats d’or.]

[Mars 2011 : la PBoC recommande de manière officielle et explicite aux épargnants chinois d’acheter de l’or.]

[2012 : la Chine commence à internationaliser le yuan en débutant la mise en place d’accords de swaps de devises entre la PBoC et de nombreuses autres banques centrales.]

[Septembre 2013 : le gouvernement chinois dévoile son projet de « Nouvelle route de la soie » (« Belt and Road Initiative »), qui implique notamment des accords commerciaux libellés en yuans. Dans le rapport In Gold We Trust 2017, S&V rapportent par ailleurs que « Selon l’agence de presse russe Spoutnik, les pays suivants ont remplacé partiellement ou entièrement le dollar dans le commerce bilatéral : Russie, Kazakhstan, Biélorussie, Arménie, Turquie, Iran, Égypte, Chine, Corée du Nord, Japon (dans le commerce avec la Chine), Vietnam, Thaïlande, Sri Lanka, Australie (dans le commerce avec la Chine), EAU, Afrique du Sud, Argentine, Uruguay et Brésil. »]

Novembre 2013 : la Chine annonce qu’elle ne veut plus accumuler d’obligations du Trésor américain.

Septembre 2014 : la Chine lance son fixing de l’or en yuans.

[Octobre 2014 : création de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank – AIIB), sise à Pékin, dans le but de concurrencer le FMI, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement.]

Juin 2015 : la Russie commence à vendre du pétrole en yuans.

[Juin 2015 : la Bank of China devient la première banque chinoise à participer au fixing de l’or à Londres.]

[Avril 2016 : lancement au SGE d’un nouveau contrat libellé en yuans qui sert de prix de référence pour les lingots d’or.]

[1er octobre 2016 : le yuan intègre le panier de devises constituant les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI.]

Septembre 2017 : le Venezuela publie le prix de son pétrole en yuans.

Mars 2018 : la Chine lance des contrats à terme sur le pétrole libellés en yuans.

[Décembre 2018 : la PBoC de Yi Gang, le successeur de Zhou Xiaochuan, rend publics des achats réguliers d’une dizaine de tonnes d’or par mois.]

Août 2019 : les banques d’État chinoises demandent à participer à l’introduction en bourse du géant pétrolier saoudien Aramco.

Août 2019 : en dépit de son alliance avec les États-Unis, l’Arabie saoudite approfondit ses relations avec la Chine.

Novembre 2019 : l’Arabie saoudite devient le premier fournisseur de pétrole de la Chine.

Septembre 2019 : la Chine et l’Iran concluent un accord stratégique d’une durée de 25 ans.

Octobre 2019 : la Chine prévoit d’émettre sa première obligation libellée en euros depuis 2004.

Octobre 2019 : la BCE et la PBoC prolongent leur accord de swap de devises pour trois ans.

Octobre 2019 : le géant minier Rio Tinto vend pour la première fois du métal en yuans. »

[2019-2020 : la Chine prend le contrôle de Hong Kong, mettant ainsi un terme à la doctrine « Un pays, deux systèmes ».]

« Guerre des monnaies » : la Chine a déjà posé de nombreux jalons sur la voie de sa « dédollarisation »

On peut les regrouper en 6 thématiques.

Arrêt du soutien octroyé au dollar en tant que monnaie de réserve mondiale (diminution des réserves chinoises de bons du Trésor à compter de 2014) et en tant que monnaie d’échange dans le cadre du commerce international (soutien accordé aux autres devises, en particulier à l’euro depuis la crise de 2012) ;

Thésaurisation d’or, à la fois au niveau individuel (libéralisation du marché de l’or et incitations officielles à l’achat) mais également au niveau national (achats de la PBoC), au point de devenir le plus grand producteur et importateur d’or au monde (la demande d’or des particuliers chinois ayant dépassé celle des Indiens en 2012), avec un secteur privé qui détient la 2ème plus importante réserve d’or au monde (10 000 tonnes en 2014, contre 25 000 tonnes pour les Indiens en 2019, selon les chiffres du Conseil mondial de l’or) ;

Internationalisation du yuan via 1. le développement de produits financiers libellés en yuans (en particulier autour de l’or et du pétrole), 2. la mise en place de nombreux accords commerciaux libellés en devises locales, et 3. la mise en place de nombreux accords de swaps de devises entre la PBoC et d’autres banques centrales ;

Approfondissement des relations économiques et commerciales avec ses voisins proches et éloignés (« Belt and Road Initiative »), en particulier avec les pays producteurs de pétrole ;

Mise en place d’institutions financières internationales alternatives (Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures) ;

Développement des marchés financiers chinois continentaux, et prise de contrôle de la place de Hong Kong – la dernière pièce du puzzle de la stratégie chinoise de « dédollarisation » sur laquelle nous reviendrons bientôt.

Ces nombreux wagons peuvent sembler a priori assez épars, mais ils sont pourtant tous intimement liés les uns aux autres.  

Avant de commencer à les raccrocher, il va me falloir vous parler lundi prochain de l’un d’entre eux que nous n’avons pas encore eu l’occasion d’évoquer, j’ai nommé le projet de « Nouvelle route de la soie » (« Belt and Road Initiative »).

A lundi !

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

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