Publicité

Plusieurs années après que la dédollarisation a été un sujet cantonné aux microcosmes des mét aux précieux, ce processus vient enfin de devenir un sujet mainstream. Il ne s’agit plus d’une vue de l’esprit : la dédollarisation est bel et bien en cours, et elle s’accélère avec la militarisation accrue du dollar.

Le dollar reste la monnaie de réserve hégémonique… en tout cas en 2023 !

Ronald-Peter Stöferle et Mark J. Valek (S&V) se distinguent de la ribambelle de Cassandre qui annoncent la mort imminente du dollar.

Et pour cause, comme l’expliquent S&V, les monnaies sont des actifs de réseau, et les biens de réseau tendent à constituer un monopole naturel. En l’occurrence, « le dollar, en tant que première monnaie mondiale, bénéficie de tous les avantages d’un actif de réseau. Louis-Vincent Gave compare le dollar à Microsoft Windows. Même si Windows plante de temps en temps et présente de nombreux défauts, c’est de loin le système d’exploitation le plus utilisé. »

Annoncer la mort imminente du dollar serait donc prématuré.

Comme l’écrivent S&V, « les plaques tectoniques se déplacent très lentement. Mais lorsqu’elles bougent, des tremblements de terre se produisent ».

Publicité

Mais de quoi parle-t-on, au juste ?

Comme le rappellent S&V, « dès mars 2022, Zoltan Pozsar avait lancé ce débat de manière stimulante avec son article Bretton Woods III. Il concluait ses remarques par la prévision suivante : « de l’ère Bretton Woods soutenue par des lingots d’or, à Bretton Woods II soutenue par de la monnaie interne (bons du Trésor avec des risques de confiscation inavouables), à Bretton Woods III soutenue par de la monnaie externe (lingots d’or et autres matières premières) ». Pour l’instant, personne ne sait exactement où ce voyage nous mènera. Il ne fait cependant aucun doute que nous sommes irrévocablement sur la voie d’un nouvel ordre (monétaire) mondial. »

S&V indiquent que jusqu’à présent, le processus de dédollarisation s’est résumé à 3 choses :

  • « Des plaintes émises par les politiciens (et parfois les banquiers centraux), dénonçant le fait que leur pays soit lésé dans l’ordre monétaire actuel ;
  • Des mesures prises par ces gouvernements pour réduire leur dépendance à l’égard du dollar [et à SWIFT], ce qui se traduit par une baisse de la demande de bons du Trésor américains ;
  • L’accumulation incessante d’or par les banques centrales de ces États. »

Quelles sont les grandes phases de la dollarisation à la dédollarisation du monde ?

Les graines de la dédollarisation ont été semées il y a des décennies. Il s’agit d’un long processus dont les répercussions prennent des années, voire des décennies, pour être pleinement ressenties.

Pourquoi la dédollarisation ?

L’Europe a ouvert le bal avec le rapport Werner commandé le 2 décembre 1969, soit 1 an et demi après la dissolution du Pool de l’or, lequel a tracé la voie de la création de l’euro en dépit de l’opposition américaine.

Comme le racontent S&V, « depuis la fermeture unilatérale du guichet de l’or par Richard Nixon en 1971, le dollar est la première et la seule monnaie de réserve mondiale de l’histoire à ne pas être adossée à un métal précieux. Cette situation a suscité le ressentiment de l’Europe et de l’Asie pendant des décennies. Une situation dans laquelle un pays peut imprimer à volonté la monnaie de réserve mondiale n’a tout simplement jamais existé auparavant. » (Et S&V de préciser que « les citoyens occidentaux ressentent également les conséquences à long terme de cet arrangement, sous la forme de taux d’inflation élevés et d’un système bancaire chancelant. »)

Quand la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite et les autres dédollarisent…

Les deux Autrichiens décomposent la phase actuelle du processus de dédollarisation en 5 étapes :

  • « 2000-2009 : mécontentement croissant face à la domination du dollar américain dans le système financier et aux avantages unilatéraux qui en résultent pour les États-Unis. Dans cette phase, certains pays se rebellent, mais sont réprimés (Irak, Libye).
  • 2009-2013 : tentative de remodeler le système financier occidental de manière à ce que l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud acquièrent plus de poids et de pouvoir réel. Au cours de cette phase, la Chine et ses alliés tentent de faire pression pour réformer des institutions telles que le FMI, mais les États-Unis ne font que des concessions minimes.
  • 2013-2022 : mise en place de systèmes de paiement alternatifs et d’accords monétaires bilatéraux destinés à permettre l’abandon du dollar américain en tant que monnaie de paiement et de réserve. À l’heure actuelle, il existe plusieurs systèmes de ce type, tels que CIPS, le système chinois alternatif à SWIFT. Les monnaies numériques des banques centrales (MNBC) jouent également un rôle important à cet égard.
  • 2022 : le gel des réserves de devises russes est le premier acte officiel des États-Unis dans la guerre des monnaies qui s’annonce entre le système ancien de l’Ouest et le nouveau système de l’Est.
  • 2023, l’épreuve de force : résistance active des nations dirigeantes de l’Est face à l’ancien système, déploiement des mécanismes mis en place pour contourner le dollar, et tentatives visant à « retourner » les alliés des États-Unis (par exemple l’Arabie saoudite et la France). »

À quoi s’attendre ensuite ?

Economie mondiale : vers une devise de réserve propre aux BRICS ?

Les titres de presse en ce sens ne manquent pas.

Russia Today Inde, 7 juillet 2023 : « Les BRICS envisagent d’introduire une nouvelle monnaie adossée à l’or. La monnaie proposée, adossée à l’or, s’opposera au dollar américain, adossé au crédit. La décision sera prise un mois avant le sommet des BRICS à Johannesburg. De plus en plus de pays s’apprêtent à rejoindre cette initiative en plein essor. »

Cependant, il ne s’est jusqu’à présent agit que de propagande russe vague et non-confirmée par les premiers intéressés.

05/07/2023 : « La banque des BRICS déclare qu’il n’y a pas de projet immédiat de lancement d’une monnaie »

En effet, comme l’expliquent S&V, « les projets de création d’une monnaie distincte des BRICS susceptible de s’imposer en tant que monnaie de réserve mondiale existent depuis 2018, mais ils n’ont été repris activement que par Moscou, en particulier depuis que la Russie s’est détournée de l’euro. Vladimir Poutine souhaite une monnaie basée sur un panier de devises, reflétant le concept des droits de tirage spéciaux du FMI ou de l’ECU, le précurseur de l’euro. Toutefois, on ne sait pas exactement à quoi ressemblera cette monnaie, ni si les autres pays des BRICS sont réellement intéressés par un tel projet. Les BRICS sont un club très hétérogène qui pourrait s’agrandir en termes de membres et d’importance, mais ils ont encore peu d’expérience dans des entreprises aussi gigantesques. »

La balance penche pour le moment du côté du renminbi. En poursuivant son internationalisation, la devise chinoise sera sans doute amenée à jouer un rôle de monnaie de réserve des BRICS, au sens d’un « service d’échange et de facturation », pour reprendre la formule de Zoltan Pozsar. Il s’agirait d’une monnaie de réserve gérée via les lignes de swaps de devises entre la Chine et ses partenaires commerciaux, et qui se distinguerait donc du dollar en cela qu’il ne serait pas nécessaire d’accumuler des obligations souveraines afin de pouvoir l’utiliser.

Reste un grand point d’interrogation. Ou plutôt, le grand point d’interrogation.

Quid de l’Europe ?

S&V ont été frappés par des déclarations pour le moins inattendues. Et une fois de plus, c’est Xi Jingping que l’on retrouve en coulisses.

Quand « Macron découvre les intérêts de l’Europe »

Comme le racontent les deux Autrichiens, « il n’est plus fréquent qu’un homme politique européen fasse sensation sur la scène mondiale, mais le président français Emmanuel Macron a réussi ce challenge au début du mois d’avril 2023. De manière surprenante et sans avertissement, Macron a parlé de l’Europe comme d’une « troisième superpuissance » à l’issue d’une rencontre avec Xi Jingping. Il a ensuite mis en garde contre « l’extraterritorialité du dollar américain » et a insisté sur son concept d' »autonomie stratégique de l’Europe ». Dans un discours prononcé après son retour en Europe, M. Macron a parlé de la « souveraineté » de l’Europe et a mis en garde contre le risque de devenir un « vassal » des États-Unis. C’est la première fois qu’un grand chef d’État occidental s’exprime de la sorte depuis le début de la guerre en Ukraine et des sanctions contre la Russie. Par ailleurs, M. Macron a également souligné par le passé que la voie du dialogue avec Moscou devait rester ouverte. »

Pour S&V, le président Macron enfile ainsi les bottes du général de Gaulle qui s’était plaint de la domination du dollar américain dès 1965. En 2018, Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne, s’était ému du fait que l’Europe ne recoure pas à l’euro dans le règlement de ses dépenses d’énergie, et avait ainsi évoqué « l’heure de la souveraineté européenne ».

Cependant, comme le relèvent S&V, « les déclarations de M. Macron n’ont pas été approuvées. Le camp favorable aux États-Unis, en Allemagne en particulier, a immédiatement réprimandé le Français et a parlé d’une « chimère ». Le fait que M. Macron soit revenu de Chine non seulement avec de grands projets mais aussi avec des contrats lucratifs pour l’industrie française ne doit pas être passé sous silence. C’est peut-être une coïncidence mais, quelques jours plus tard, la France a vu sa note abaissée par Fitch. À tout le moins, il semble que Macron garde certaines options ouvertes pour lui-même et pour l’Europe. »

Et S&V de relever que suite au sabotage des gazoducs Nord Stream en mer Baltique le 26 septembre 2022, lequel a coupé deux connexions gazières majeures entre la Russie et l’Europe et a rendu l’UE dépendante des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain, laFrance a été le premier pays à acheter en renminbi du GNL en provenant de Chine, quelques jours seulement avant que le président Macron ne rende visite à Xi Jinping à Pékin. »

Force est de constater que la politique étrangère européenne n’est pas encore centralisée à Bruxelles : l’Europe continue de s’exprimer de plusieurs voix.

Géopolitique : l’Europe, un enjeu de premier ordre entre l’Amérique et la Nouvelle route de la soie

De quel côté notre continent penchera-t-il in fine ?

Comme l’explique Zlotan Pozsar, « l’Europe est un enjeu de choix dans le « grand jeu » du XXIe siècle que la Chine va jouer sur la masse continentale eurasienne, ainsi qu’en Afrique et au Moyen-Orient. […]

L’Europe se trouve à l’extrémité géographique de l’initiative la « Nouvelle route de la soie ». Il y a donc cette attraction d’un côté, et puis il y a l’attraction transatlantique. Nous verrons bien comment cela se passe, mais je pense qu’il est utile de formuler notre réflexion comme suit pour les 5 à 10 années à venir, que ce soit dans les domaines de la macroéconomie, de la monnaie, des marchés de taux d’intérêt ou de l’économie mondiale : il y a d’une part la Nouvelle route de la soie et l’Eurasie, c’est-à-dire toute l’Asie, toute l’Europe et le Moyen-Orient, la Russie, l’Afrique du Nord et l’Afrique en général. L’île mondiale, pour ainsi dire.

« Le continent central de la géopolitique mondiale et ses périphéries vitales » (Le Grand Échiquier, Zbigniew Brzezinski, 1997)

D’autre part, il y a ce que nous appelons le G7 : l‘Amérique du Nord, l’Australie, le Japon et d’autres petites îles et une péninsule par-ci par-là.

Voilà quels sont les deux « blocs économiques » essentiels. […]

Je pense que l’Europe est un point d’interrogation. Elle va faire l’objet d’une bataille. »

Comme le relèvent S&V, « avec la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, il serait théoriquement possible pour l’Europe de former un 3ème bloc, une sorte de zone neutre entre les États-Unis et la Chine-Russie. […] C’est aussi la raison pour laquelle Macron s’agite : l’euro a été conçu pour cela ! L’Europe est toujours assise sur les plus grandes réserves d’or au monde, tandis que l’Est empile l’or comme s’il n’y avait pas de lendemain. […]

Réserves d’or déclarées des États-Unis, la zone euro (BCE incluse), la Russie, la Chine et le FMI (T4 2021)

À ce stade, il est impossible de savoir avec certitude de quel côté l’Europe se situera réellement dans ce conflit de long terme entre l’Est et l’Ouest. On le découvrira au cours des prochaines années. Il est même possible que l’Europe se scinde en deux blocs, comme ce fut le cas durant la Guerre froide. […] Obtenir le soutien de l’UE serait le plus grand coup imaginable pour la Russie et la Chine. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que cela ne se produise. »

Pour S&V, une chose est sure, « l‘ère de Bretton Woods et de la domination totale des pétrodollars est désormais véritablement révolue. Le moment unipolaire est terminé. Attachez votre ceinture », recommandent les deux Autrichiens.

Comment les États-Unis réagiront-ils à ce défi ?

Le contournement du dollar dans les échanges commerciaux et l’importance croissante de l’or dans les réserves de change des banques centrales réduisent la demande mondiale de dollars, donc menacent le privilège exorbitant du dollar.

S&V rappellent que « le dollar est toujours en tête du classement des devises. Washington a encore de nombreuses options. Et s’il y a une chose que l’histoire nous a apprise, c’est qu’il ne faut jamais sous-estimer les Américains et leur pragmatisme. Mais sur le plan purement économique et géopolitique, tout indique que la tendance à la dédollarisation se poursuit. Cela ne signifie pas que le dollar américain disparaîtra demain, ni même qu’il baissera. »

Quoi qu’il en soit, « la demande de bons du Trésor diminuant, les États-Unis n’auront d’autre choix que d’imprimer des dollars pour se racheter. »

Pour S&V, « même si nous n’en sommes pas encore à l’épreuve de force finale, il semble que nous entrions dans le dernier tour [de la partie]. Celle-ci pourrait être déclenchée lorsque les grandes puissances de l’Est et leurs alliés, par l’introduction d’une monnaie adossée à l’or ou d’une unité de règlement internationale adossée à l’or, forceront l’Occident à réagir.

Nul doute que nous aurons l’occasion d’en reparler dans les mois qui viennent.

Quoi qu’il en soit, « la demande structurellement plus élevée d’or de la part des banques centrales sera l’un des principaux moteurs du marché haussier de l’or », anticipent S&V.

Article précédentLa Pologne se charge en or !
Article suivantPlateformes de monnaies numériques de banque centrale (MNBC) : le FMI contre la Chine et la BRI ?
Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

3 Commentaires

  1. Réunir la morale et l’efficacité économique, tel semble être le souhait affiché des gouvernants lors des conflits mondiaux. Souhait, espoir, mais peut être aussi véritable défi à relever et à assumer. Et si l’on y ajoute la modernisation, attendue et voulue par certains mais combattue par d’autres, d’une fiscalité encore balbutiante, on imagine aisément le dilemme auquel sont confrontés les dirigeants.Mais attention les peuples de tout monde regarde observe et beaucoup subisse une morale bafouée par des dirigeants avar de pouvoirs sans partage.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Veuillez entrer votre commentaire !
Veuillez entrer votre nom ici