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Quelle place occupe la Suisse dans le commerce international de l’or ? L’analyse des exportations helvètes vers la Chine permet-elle de connaître le véritable montant des réserves d’or de l’Etat chinois ?

Chaque année, nos voisins suisses exportent plusieurs dizaines, voire centaines de tonnes d’or vers la Chine. Ce métal apparait dans la comptabilité nationale suisse avant de disparaître pour partie dans le trou noir de la comptabilité nationale chinoise. En effet, lorsque la Banque populaire de Chine (People’s Bank of China, PBoC) achète de l’or à l’étranger en devises, ces transactions sont exemptées de déclaration douanière, ce qui n’est pas le cas de l’or acheté par des entités privées. En procédant ainsi plutôt qu’en achetant de l’or en yuans sur le Shanghai Gold Exchange (SGE), la PBoC peut augmenter ses réserves d’or à sa guise sans laisser de traces dans le domaine public.

La communication officielle de la Chine au sujet de ses réserves d’or étant très mouvementée depuis fin 2022, le moment me semble venu de vous proposer un focus sur les exportations d’or suisses en direction de la Chine, ce qui me conduira à faire le point sur les réserves chinoises officielles (et officieuses !) de métal jaune.

Commençons par un bref rappel au sujet de l’industrie aurifère de nos voisins suisses.

Acheter et vendre de l’or : la Suisse est le plus grand centre de raffinage et d’achat/vente d’or au monde

La Suisse entretient un rapport particulier avec le métal jaune. Elle est le plus grand centre de raffinage et de transit d’or au monde. Les raffineries suisses importent des lingots des mines et des centres de stockage du monde entier avant de les traiter pour ensuite les réexporter.

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Comme je l’écrivais dans un précédant billet consacré au stockage d’or en Suisse, cinq des plus grandes raffineries d’or de la planète sont sises en Suisse : Metalor à Neuchâtel, Cendres + Métaux à Bienne, Pamp à Castel San Pietro, Valcambi à Balerna et Argor Heraeus à Mendrisio. Comme l’écrivait le quotidien helvète Le Temps en avril 2022, « La Suisse est la principale plaque tournante du commerce international de l’or : les deux tiers du métal précieux mondial y sont raffinés et transformés. »

Les barres, lingots, monnaies, médailles et produits semi-finis (par exemple pour les industries de la joaillerie et de l’horlogerie) qui résultent de ce processus industriel sont en grande partie réexpédiés vers l’étranger. L’excellence suisse en matière de raffinage fait de l’or l’une des marchandises les plus exportées par la Confédération.

Gold : quelle quantité d’or pur la Suisse exporte-t-elle vers le reste du monde ?

Les montants des exportations d’or suisses sont connus au travers des statistiques publiées par la douane suisse.

Au niveau de la tendance à long terme, ce graphique du Conseil mondial de l’or (CMO) permet de constater qu’alors qu’elles étaient en baisse depuis 2013, les exportations d’or suisses se sont ressaisies en 2021.

Exportations d’or de Suisse (tonnes, moyenne mobile sur 12 mois, décembre 2012 – décembre 2022)

Source : Conseil mondial de l’or

Grâce aux données rendues publiques par la douane suisse le 24 janvier 2023, on sait qu’en 2022, ce sont 1700 tonnes d’or qui ont quitté la Suisse (un plus haut depuis 2016) pour rejoindre toute une série de pays.

Exportations mensuelles d’or de la Suisse et pays importateurs en 2022 (tonnes)

Quel est le lien avec le cours/prix de l’once d’or en dollars ou CHF ?

Comme l’indiquait Reuters le 24 janvier, « les cours [de l’or] bas ont stimulé la demande des consommateurs d’Asie et du Moyen-Orient. La hausse des taux d’intérêt a incité de nombreux investisseurs d’Europe et d’Amérique du Nord à vendre de l’or l’année dernière, libérant ainsi de grandes quantités de métal stocké et faisant baisser les cours. Cela a permis aux lingots d’affluer vers les marchés asiatiques, qui sont davantage axés sur la vente au détail de bijoux et de petits lingots d’or aux consommateurs, qui achètent généralement davantage lorsque les prix baissent. »

Exportations d’or suisses vers l’Asie et le Moyen-Orient (tonnes, 2012-2022)

Source : Reuters

En 2022, 47 tonnes d’or ont été exportées depuis la Suisse en Arabie saoudite, 69 tonnes à Singapour, 92 tonnes en Thaïlande, 188 tonnes en Turquie et 224 tonnes en Inde (contre 507 tonnes en 2021).

Mais sans surprise, c’est bien sûr la Chine qui figure sur la première place du podium des pays importateurs.

Quelle quantité d’or la Suisse exporte-t-elle vers la Chine ?

Selon les chiffres publiés par Reuters, la Suisse a exporté 524 tonnes d’or en Chine continentale et à Hong Kong en 2022 (un record depuis 2018). Ce montant représente plus de 30% du total des exportations suisses d’or de 2022.

C’est ainsi que chaque année, la Suisse exporte plusieurs dizaines, voire centaines de tonnes d’or en direction de Pékin, lequel métal apparait dans la comptabilité nationale helvète avant de disparaître en partie dans le trou noir de la comptabilité nationale chinoise.

Quelle quantité d’or détient officiellement la Banque populaire de Chine ?

Officiellement, à avril 2023, les réserves officielles d’or chinoises ne se monteraient qu’à 2050 tonnes. Un chiffre qui prête à sourire au vu des quantités de métal jaune que l’Empire du Milieu importe en masse depuis sa ré-émergence économique dans les années 1990…

Les derniers mois ont été assez mouvementés au regard de la communication officielle au sujet des réserves d’or de la PBoC. Alors que la banque centrale chinoise était demeurée muette à ce sujet depuis septembre 2019, on a appris le 7 décembre 2022 que la PBoC avait repris ses achats au mois de novembre, 32 tonnes de métal étant venues rejoindre les réserves officielles. En janvier 2023, ce sont 15 tonnes qui ont été ajoutées, puis 24,9 tonnes en mars, portant officiellement le total des réserves à 2050 tonnes.

Réserves officielles d’or de la Chine (tonnes, T1 2000 – T4 2022)

Source : Conseil mondial de l’or

Il n’est pas nécessaire de regarder bien longtemps le graphique ci-dessus pour comprendre qu’en matière de déclaration de ses achats d’or, la PBoC fait selon ses envies. Comme le soulignait Reuters le 7 décembre 2022, « la Chine a parfois déclaré que ses avoirs en or n’avaient pas changé pendant des années avant de révéler des ajouts de centaines de tonnes achetées sur une longue période. À d’autres moments, elle a fait état d’augmentations mensuelles régulières. »

Il me semble difficile de ne pas rejoindre les nombreux commentateurs qui estiment que la Chine détient plusieurs centaines, voire milliers de tonnes d’or au sein d’une comptabilité distincte de la comptabilité officielle de la PBoC.

Quelle quantité d’or détient vraiment l’Etat chinois ?

Je tiens à vous signaler une estimation produite par un analyste que j’ai plusieurs fois eu l’occasion de citer dans ces colonnes : Jan Nieuwenhuijs. Le 22 février 2023, le néerlandais a publié une étude à l’issue de laquelle il arrive à la conclusion qu’à fin 2022, la PBoC détenait en réalité 4309 tonnes d’or, soit plus du double du montant officiel.

Sans rentrer dans les détails, précisons tout de même que son estimation se fonde sur la différence entre d’une part les statistiques fournies par Metals Focus au CMO au sujet des achats agrégés du secteur officiel et, d’autre part, les achats officiels déclarés par les banques centrales au FMI, étant entendu que seules la Chine et l’Arabie saoudite sont réputées, dans les milieux autorisés, coutumières des achats non-déclarés.

Si Jan Nieuwenhuijs voit juste, alors Pékin arriverait sur la 2ème marche du podium des réserves étatiques d’or, entre les Etats-Unis (8133 tonnes) et l’Allemagne (3355 tonnes). Si l’on considère cependant les pays membres de la zone euro comme un seul et même groupe, alors la donne n’est plus la même puisque nous autres Européens réunissons plus de 10 000 tonnes d’or au niveau public.

Réserves officielles d’or des Etats-Unis, de la Zone euro (BCE incluse), de la Russie, de la Chine et du FMI (tonnes, Q4 2021)

Si l’on met un coup de zoom arrière sur ce panorama, une autre question se pose.

Pièces, lingots, barres, bijoux : l’or physique quitte-t-il l’Occident par Genève pour trouver refuge en Asie ?

J’ai déjà eu l’occasion de vous parler de Jeffrey Christian. Le patron du CPM Group aime démonter les poncifs qui circulent au sujet de l’or et de l’argent.

Une idée souvent avancée à ce sujet est que l’or physique occidental est « aspiré » par l’Orient depuis les hubs de Londres et Zurich.

Jeffrey Christian s’est attaqué à cette idée dans une vidéo publiée le 7 février 2023.

A 24’20, Christian publie ce tableau qui récapitule les quantités d’or exportées de Suisse entre 2008 et le 3ème trimestre 2022, mais également les quantités importées en Suisse, pour établir la balance de ces flux de métal.

Importations et exportations suisses d’or (onces troy, 2008 – T3 2022)

Source : CPM Group

Il apparaît que sur cette période de presque 15 ans, après avoir importé 1 124, 350 189 millions d’onces (soit 34 971 tonnes) d’or et exporté 750, 867 055 millions d’onces (soit 23 354 tonnes) d’or, la Suisse a été importatrice nette de 373, 483 135 millions d’onces (soit 11 616 tonnes) de métal, soit 787,5 tonnes par an en moyenne. (La demande des consommateurs suisses s’étant montée à « seulement » 48,7 tonnes d’or en 2022, ce chiffre est éloquent au sujet de l’attrait exercé par la Suisse en tant que pays de stockage d’or à l’international.)

Autrement dit, des quantités d’or énormes ont certes quitté la Suisse… mais il ne faut pas oublier que des quantités encore plus importantes ont dans le même temps rejoint le pays helvète ! Le stock d’or détenus par les consommateurs et investisseurs suisses s’est donc fortement accru au cours de cette période, comme en atteste la courbe jaune (importations nettes) qui est positive sur l’ensemble de la période.

La Suisse ne manque pas d’or : importations et exportations annuelles d’or suisses (millions d’onces, 2008 – T3 2022)

Bref, « la Suisse ne manque pas d’or », contrairement à ce que l’on peut lire à droite à gauche.

Certes, a-t-on envie de répondre à Christian, mais prouver que la Suisse est importatrice nette d’or depuis 2008 ne règle pas la question de savoir si l’Occident est globalement exportateur net d’or au profit de l’Orient, comme le veut le cliché !

Il s’agit d’un tout autre sujet, que nous aborderons dans un prochain article.

A bientôt !

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

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