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Les Français détiennent-ils vraiment 3000 tonnes d’or, comme on le lit souvent ? Est-il possible d’arriver à une estimation plus fine ? Comment ce stock a-t-il évolué dans le temps ?

3 000 tonnes, au bas mot. C’est le chiffre qui circule depuis de nombreuses années au sujet de la quantité d’or physique présente dans le fameux « bas de laine » des Français, sous forme de pièces et de lingots.

Cette estimation à la pelleteuse, reprise avec complaisance de colonne de presse en colonne de presse, laisse dans l’ombre au moins 3 questions :

  • Sur quelles sources repose cette estimation ?
  • Est-il possible d’aboutir à une évaluation plus fine de la quantité d’or détenue par les Français ?
  • Comment ce stock a-t-il évolué dans le temps ?

Commençons par le commencement.

Stocks d’or : où trouver des données fiables au sujet des stocks d’or privés en France, en Allemagne, en Espagne, en Suisse, aux Etats-Unis, en Russie, en Chine et dans le monde ?

Pour ce qui est de la France, le premier réflexe est de se reporter à l’étude (pas tout à fait annuelle) de l’INSEE sur les « Revenus et patrimoine des ménages ». A priori, on pourrait se dire qu’il est du ressort d’un service national des statistiques que de compiler ce genre de données, n’est-ce pas ?

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Seulement voilà, dans l’édition 2021 de cette publication, on constate que l’INSEE ne considère pas l’or physique comme une catégorie en tant que telle. A priori, ce capital doit être partie intégrante de la sous-catégorie « autres actifs non-financiers » (72 Mds € en 2019)… mais à concurrence de quel montant ? Il est impossible de le dire au vu de ce tableau.

Source : INSEE, Revenus et patrimoine des ménages, Édition 2021, page 161.

Notre propre institut national des statistiques se désintéresse donc totalement du sujet.

Quid de la Banque de France ? Sur son site internet, vous ne trouverez aucune information relative à la quantité d’or détenues par les Français (on n’y trouve même pas de série statistique relative aux réserves officielles d’or de la Banque de France, c’est dire…). En revanche, notre grand argentier dispose d’archives papier. Et dans ces archives papier, il y des boîtes numérotées. Et dans certaines de ces boîtes, il y a des informations qui nous intéressent…

Comment accéder à ces données ? En tant qu’individu lambda, cela est assez compliqué. En revanche, certains universitaires ont consulté le contenu de ces fameuses boîtes et ont traité ces précieuses données.

C’est en particulier le cas de Thi Hong Van Hoang. Dans sa passionnante thèse de doctorat intitulée « Le marché parisien de l’or de 1949 à 2009 : Histoire et finance » (Université d’Orléans, décembre 2010) et dans un article de recherche consécutif, l’universitaire a passé la question de la thésaurisation de l’or par les Français au peigne fin de son analyse.

Mon propos va se fonder en particulier sur les travaux de recherches de Hoang que je compléterai à l’aide de statistiques issues du Conseil mondial de l’or (CMO).

Réserves d’or en France : comment a évolué la quantité d’or détenue par les Français au XXème siècle ?

Avant tout chose, il faut souligner avec Hoang qu’« il est très difficile de mesurer avec exactitude la quantité d’or thésaurisé par les particuliers. Il ne s’agit ici que d’estimations… »

Cette précaution oratoire ainsi posée, ajoutons que Hoang a mis la main sur des estimations pour 5 années relatives à la période 1914-1950.

Source : T.H.V. Hoang, Revue numismatique, 2012

Heureusement, à cette période aux statistiques éparses succèdent des estimations continues… pour un temps en tout cas.

Hoang a pu couvrir la période 1951-1981 grâce aux calculs réaliséspar la Banque de France « sur la base des données fournies par la Bourse de Paris » (les résultats étant accessible dans les archives de la Banque de France).

Pour compléter le tout, grâce aux données mise à disposition par le Conseil mondial de l’or, Hoang a pu couvrir la période 1993-2000.

L’ensemble de ces statistiques a permis à l’universitaire de tracer le graphique que voici.

Source : T.H.V. Hoang, Revue numismatique, 2012

A l’époque, Hoang n’a pas trouvé d’estimations relatives à la période 1982-1992 ni à la période 2001-2010, à l’exception d’un article des Echos datant du 3 août 2004. Celui-ci énonce que « l’on considère que les Français […] détiennent, selon plusieurs estimations, entre 3.000 et 5.000 tonnes [d’or]. »

Tentons de prolonger ce constat.

Comment a évolué la quantité d’or détenue par les Français depuis l’an 2000 ? Baisse ou augmentation ?

Si vous aimez comme moi dépiauter les Gold Demand Trends du Conseil mondial de l’or, vous savez qu’au-delà de la simple publication PDF, le CMO met à la disposition du public ses dernières statistiques dans un fichier Excel. On y trouve notamment le détail de la demande d’investissement physique par année et par pays entre 2010 et 2022.

Dans le cas de la France, le total se monte à 21,4 tonnes d’or nettes cumulées au cours de 13 années, réparti comme suit.

Au vu de ces données, on pourrait penser que la quantité d’or détenue par les Français a quelque peu augmenté en ce début de XXIème siècle.

Que nenni ! En réalité, c’est le contraire qui s’est produit. Non seulement les Français se sont délestés d’une partie de leur métal jaune pendant les années 1990 (comme l’a relevé Hoang), mais cette tendance s’est poursuivie jusqu’en 2008 (incluse).

Je suis en mesure de l’affirmer car le CMO a eu l’amabilité de me communiquer ses chiffres relatifs à la France sur la période 1992-2009. Je ne suis pas autorisé à divulguer les données brutes, mais le CMO m’a permis de vous les présenter sous forme graphique.

Comme vous pouvez le constater, les 21,4 tonnes nettes d’or accumulées depuis 2010 font pâle figure en comparaison des wagons de métal dont nous nous sommes séparés durant les années 1990 et 2000.

Alors, combien de tonnes d’or détiennent vraiment les Français ?

Hoang estime qu’en 1981, compte tenu des données à disposition dans les archives de la Banque de France au sujet des flux, le stock d’or privé français se montait à environ 3800 tonnes. Quoi qu’il en soit, la tendance à la thésaurisation d’or était alors stable, voire légèrement haussière.

Source : T.H.V. Hoang, Revue numismatique, 2012

Ensuite, c’est le grand vide pendant 10 ans (jusqu’en 1991). Cela est fort dommage car il aurait été très intéressant de savoir à quel point l’élection de François Mitterrand sur la base du programme commun a effrayé les épargnants français.

On peut sans doute imaginer que ces derniers ont dans un premier temps continué d’ajouter de l’or dans leur « bas de laine ». Certes, mais pendant combien de temps ? Une fois établi que le président socialiste avait des limites en termes de confiscation du patrimoine privé (pour rappel, l’impôt sur les grandes fortunes est instauré en 1982), on peut penser que la demande française de métal jaune s’est tassée, jusqu’à devenir négative dans une atmosphère de « Grande modération », avant de devenir très négative à partir de 1992 au moins.

Je préfère cependant ne pas faire de conjecture chiffrée. Pour tracer le graphique ci-dessous*, je suis parti du principe que le stock d’or des Français en 1991 n’avait pas bougé depuis 1981 : 3830 tonnes. (*Je tiens à remercier Thi Hong Van Hoang d’avoir eu l’amabilité de me communiquer ses données.)

(NDLR : l’absence de barre dorée traduit bien sûr l’absence d’estimation et non un stock nul.)

Retirez de ce stock la grande braderie des années 1990-2008 puis prenez en compte la stabilisation des années 2010, et vous aboutissez à une estimation qui se monte à 3410 tonnes à fin 2022. Ce niveau est équivalent à celui de 1966. En 2022, le stock d’or des Français avait donc fait un bond de 56 ans en arrière.

L’once ayant clôturé l’année 2022 à 1699 €, ce magot était alors valorisé à 186 Mds€. Morale de l’histoire : l’INSEE ne prend sans doute pas en compte l’or physique des Français dans son étude sur les « Revenus et patrimoine des ménages », puisque la sous-catégorie « autres actifs non-financiers » ne se montait qu’à 72 Mds € en 2019.

Quoi qu’il en soit, j’insiste à nouveau sur le fait que les chiffres relatifs à la quantité d’or détenue par les épargnants ne sont que des estimations.

Et si vous voulez mon avis, c’est très bien comme ça.

Vers un registre des actifs à l’échelle européenne, voire au niveau mondial ?

Dans un monde parfait, l’Etat ne devrait mettre son nez ni dans le jardin, ni dans la cuisine, ni dans la chambre, ni dans le bas de laine de sa population. C’est cependant le chemin inverse que nous prenons. A l’époque de la taxe sur les cabanes de jardin, des velléités politiciennes pour réglementer la répartition des tâches ménagères au sein du couple et même notre sexualité, vous vous doutez bien que les pouvoirs publics ont vocation à s’immiscer chaque jour un peu plus dans nos finances personnelles.

Je ne m’étendrai pas ici sur les risques terribles auxquels nous exposent les projets de monnaies numériques de banques centrales.

C’est du projet européen d’un registre des actifs à l’échelle européenne que je voudrais vous entretenir. Comme l’ont expliqué Stöferle et Valek (S&V) dans leur rapport In Gold We Trust 2022, en décembre2021, « La Commission européenne a chargé [diverses entités] de produire une étude de faisabilité [qui] devrait être publiée début 2023. […] Ce projet explorera diverses options pour la collecte d’informations en vue d’établir un registre des actifs qui pourra ensuite servir de base à une future initiative politique. Il étudiera comment les informations disponibles auprès de différentes sources de propriété d’actifs (par exemple, les registres fonciers, les registres des entreprises, les registres des fiducies et des fondations, les dépositaires centraux de titres, etc.) peuvent être collectées et reliées, et analysera la conception, la portée et les défis d’un tel registre des actifs de l’Union. La possibilité d’inclure dans ce registre des données sur la propriété d’autres actifs tels que les crypto-monnaies, les œuvres d’art, les biens immobiliers et l’or devrait également être envisagée. »

Pour justifier ce que S&V qualifient d’« attaque totale contre la vie privée financière des citoyens européens », c’est bien sûr les prétextes éculés que sont la lutte contre le blanchiment et l’évasion fiscale qu’invoque la Commission.

En ce qui me concerne, il me semble plus sain au plan démocratique que nous en restions à de vagues estimations des quantités d’or détenues par les Français et les autres Européens, plutôt qu’à un fichage en règle du contenu des « bas de laine » de l’ensemble de la population.

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour c’ est une étude surprenante, car l’ achat et la vente d’ or ont été anonyme ( simple ticket de caisse et paiement illimité en espèces ) pendant de nombreuses années, avant l’ an 2000 par exemple . Donc on en est où aujourd’hui, si les personnes  » aisées  » ne vendent pas hors anonymat ?

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