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L’année passée, la demande d’or en provenance des banques centrales avait atteint un montant record, en particulier du fait d’achats secrets. Qu’en a-t-il été en 2023 ?

J’ai décrypté ce que l’on trouve dans le dernier rapport du Conseil mondial de l’or… et aussi ce qu’on n’y trouve pas !

Demande d’or des banques centrales : on a frôlé le record d’achats de 2022 !

Il y a deux ans, selon les chiffres du Conseil mondial de l’or (CMO), les banques centrales ont accumulé 1 082 tonnes d’or (un chiffre corrigé obtenu au fil des annonces des retardataires, après les 1 136 tonnes annoncées initialement). Depuis que les analystes du CMO tiennent leurs registres, ils n’avaient jamais constaté un chiffre aussi élevé que pour l’année 2022.

Demande annuelle d’or des banques centrales (tonnes, 1950-2022)

Évidemment, lors de la publications des Gold Demand Trends Full year and Q4 2023, tous les regards se sont braqués sur ce chiffre…

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À combien s’est-il monté ?

L’année dernière, les banques centrales sont passées à 44,6 tonnes d’un nouveau record : elles ont accumulé 1 037 tonnes de métal jaune, soit -4% de moins qu’en 2022.

Demande annuelle d’or des banques centrales (tonnes, 2010-2023)

Faut-il pour autant reboucher le champagne ?

Je ne pense pas.

À fin 2023, cela faisait en effet 14 années consécutives que les banques centrales étaient repassées à l’achat (selon les chiffres du CMO), pour un total de 7 800 tonnes de métal accumulées sur l’ensemble de la période 2010-2023.

« Un quart [de cette masse] a été accumulé au cours des 2 dernières années », précise le CMO, ce qui témoigne de la renaissance de l’or en tant qu’actif au sein des réserves de change des banques centrales.

Entre fin 2022 et fin 2023, le stock mondial des réserves officielles d’or est ainsi passé de 35 000 tonnes à 36 700 tonnes (+4,86%).

Je n’ai malheureusement pas de graphique plus récent que celui-ci à vous proposer, mais sachez qu’exprimé en pourcentage des réserves officielles mondiales, l’or continue de reprendre du poil de la bête.

Pourcentage d’or dans les réserves officielles mondiales (1970 – décembre 2022)

Voilà pour les généralités.

Penchons-nous à présent sur les détails…

Quelles sont les banques centrales qui vendent de l’or ? Et qui ont été les plus gros acheteurs de lingots en 2023 ?

Vous vous souvenez peut-être que l’année passée, une autre information dont le CMO ne se cachait pas avait fait presque autant de bruit que la nouvelle du montant record du tonnage d’or accumulé par les banques centrales : les 1 136 tonnes dont on parlait alors (en réalité, plutôt 1 082 tonnes) correspondaient « en majorité » à des achats non déclarés par les banques centrales au FMI. Autrement dit, plus de 50% de cette masse correspondait à des achats secrets.

Qu’en a-t-il été en 2023, alors les banques centrales ont acheté presque autant d’or (1 037 tonnes) qu’en 2022 ?

Le CMO indique tout d’abord que « tant les achats que les ventes bruts déclarés ont augmenté en 2023. »

Parmi les poids lourds qui ont fait pencher la balance du côté de la hausse de la demande figurent la Chine (+225 tonnes… déclarées, ce qui signe un record « depuis au moins 1977 » indique le CMO, la Banque populaire de Chine détenant officiellement 2 235 tonnes d’or à fin 2023) et la Pologne (+130 tonnes). On notera également avec intérêt que Singapour a acquis +77 tonnes d’or, et la République tchèque +19 tonnes.

Et du côté de celles qui ont fait pencher la balance du côté de la baisse de la demande se trouvent en particulier les banques centrales d’Ouzbékistan et du Kazakhstan, ces deux pays étant de gros producteurs d’or.

Achats et ventes nets d’or déclarés par les banques centrales (2023)

Quelle part d’achats non-déclarés (donc secrets) au sein de ces 1 037 tonnes d’or ?

Cette année, le CMO ne fait cependant aucune mention de la part d’achats non déclarés dans ces 1 037,4 tonnes de métal.

Voilà qui est fort dommage…

Heureusement, le CMO met à la disposition du public une autre base de données : les Quarterly times series on World Official Gold Reserves since 2000, lesquelles permettent de constater l’évolution des réserves officielles par trimestre depuis l’an 2000. Un document précieux pour les petits curieux dans mon genre qui aiment faire leurs propres calculs…

J’arrive ainsi au chiffre de 396,1 tonnes pour ce qui est des achats nets déclarés par les banques centrales en 2023. (Vous voyez que je retombe bien sur les 225 tonnes de la Chine, les 130 tonnes de la Pologne, etc.)

Évolution du stock d’or des banques centrales ayant officiellement rapporté avoir acheté ou vendu de l’or en 2023

Source : Conseil mondial de l’or, calculs personnels

Cela donne donc 1 037,4 – 396,1 = 641,3 tonnes d’or achetées secrètement, ce qui représente 61,8% du total !

Est-ce mieux ou pire que l’année passée, en termes de transparence des banques centrales?

Pour me faire une idée, j’ai procédé aux mêmes calculs pour 2022. J’arrive au chiffre hallucinant (accrochez-vous bien à votre table) de 9,1 tonnes d’achats nets déclarés pour 2022, pour un total aujourd’hui estimé à 1 081,9 tonnes. Cela donne donc 1 081,9 – 9,1 = 1 072,8 tonnes d’achats non-déclarés, soit 99,16% du total !

Évolution du stock d’or des banques centrales ayant officiellement rapporté avoir acheté ou vendu de l’or en 2022

On est donc mieux que l’année dernière en termes de transparence mais, le moins que l’on puisse dire, c’est que depuis au moins 2 ans, certaines banques centrales accumulent de l’or de manière massive dans l’opacité la plus totale !

Le CMO n’a donc pas abordé ce sujet cette année, mais les conclusions sont les mêmes que l’année passée : la majorité des achats des banque centrales n’a pas été déclarée, soit que les banques centrales en question aient du retard administratif, soit qu’elles préfèrent garder ces achats secrets – une hypothèse qui me semble bien plus probable.

Quelles banques centrales ont secrètement accumulé de l’or ?

À mon avis, plus ou moins les mêmes que l’année passée !

Voici ce que j’écrivais à l’époque : « Si vous voulez mon avis, il semble que certaines banques centrales aient tiré les leçons du gel par l’Occident des réserves de devises russes en dollars, en euros, en livres et en yens au printemps 2022. C’est d’ailleurs ce qu’indiquait le FMI lui-même dans un rapport publié le 27 janvier 2023. »

Pour être plus précis, la rumeur issue des milieux autorisés veut que seules la Chine et l’Arabie saoudite soient coutumières des achats secrets.

Combien d’or possède la France ? Où se trouve la plus grande réserve d’or ?

Je vous laisse en tirer vos propres conclusions au sujet du montant réel des réserves d’or de la Banque populaire de Chine…

Quoi qu’il en soit, voici le top 13 officiel des pays en termes de tonnages d’or détenus en réserves non pas à fin 2023, mais au 3ème trimestre 2023.

Stocks d’or par pays (réserves américaines, Europe, Russie, étranger…)

Top 13 des pays en termes de réserves officielles déclarées d’or (T3 2023)

Source : Conseil mondial de l’or

Voici à présent comment se répartit cette masse par grandes zones géographiques.

Répartition des 36 700 tonnes d’or de réserves officielles déclarées d’or par grandes zones géographiques (septembre 2023)

Source : Conseil mondial de l’or

1 037 tonnes d’or en 2023… et ensuite ?

Le CMO ne prétend pas avoir de boule de cristal, mais imagine mal un nouveau record en 2024 : « À l’horizon 2024, il est toujours aussi difficile de faire des prévisions pour ce secteur. Mais la tendance à l’achat qui est en place depuis 2010 ne montre aucun signe d’affaiblissement, même si une 3ème année consécutive d’achats nets d’environ 1 000 tonnes est peu probable. Cela renforce notre conviction que les banques centrales mondiales resteront acheteuses nettes cette année encore », écrivent ses analystes.

Pour que notre tableau de la demande d’or soit complet, il nous faut aborder un dernier point.

Résidu statistique et bilan de la demande totale d’or

Pour faire le bilan de la demande d’or, il faut ajouter à la demande identifiée par le CMO le fameux résidu statistique de la rubrique « achats/ventes de gré à gré et autres », c’est-à-dire les achats dont le CMO sait qu’ils ont été réalisés, mais qu’il ne peut pas cependant identifier à ce stade.

Très faible en 2022 (52,8 tonnes), ce poste comptable se monte à 450,4 tonnes en 2023, ce qui représente tout de même 9,2% de la demande totale d’or, et une augmentation de +753% par rapport à 2022 !

Évolution annuelle de la demande d’or de gré à gré (%, 2011-2023)

Source : Bloomberg

En dépit du fait que la demande d’ETF (-7%) comme la demande de pièces et lingots (-3%) aient baissé en 2023, on achète donc de plus en plus d’or physique en coulisses !

Quoi qu’il en soit, ajoutez la demande issue du secteur de la bijouterie + la demande issue du secteur technologique + la demande d’investissement + la demande des banques centrales + les achats de gré à gré et autres, et vous aboutissez à la « demande totale » d’or, laquelle s’est montée en 2023 à 4 898,9 tonnes, en hausse de +3% par rapport à 2022.

Répartition de la demande totale d’or par secteurs, selon la présentation du CMO (2022-2023)

Passons maintenant à l’offre d’or.

A 4 899 tonnes, l’offre totale d’or est en hausse de 9% en 2023

Avec 4 899 tonnes, l’année 2023 a enregistré une offre totale d’or en hausse (pour la 2ème année, après 2 années de baisse) de +3%.

Offre et demande d’or annuelles selon la présentation du Conseil mondial de l’or (tonnes, 2010-2023)

(N.B. : si ce tableau est trop petit, alors je vous renvoie à la source afin que vous puissiez le consulter dans une meilleure résolution.)

Voyons tout d’abord ce qu’il en a été de la demande primaire.

Production minière d’or : +1%, et nouveau record de l’AISC

A 3 644 tonnes, la production minière a augmenté de +1%, mais demeure en-deçà de son record de 2018 (3 656 tonnes). L’hypothèse de Pierre Lassonde au sujet du pic de production aurifère est donc toujours d’actualité.

Production minière annuelle mondiale (1995-2023)

Cela porte le stock d’or extrait au cours de l’histoire à environ 212 582 tonnes. Notre cube doré théorique forme toujours 22 mètres de côté.

Source : Conseil mondial de l’or

Le CMO relève par ailleurs que « les coûts d’extraction de l’or ont continué à augmenter au cours du 3ème trimestre 2023 (le dernier trimestre pour lequel des données sont disponibles) […]. Le coût moyen tout compris (All-In Sustaining Cost – AISC) a atteint 1 343 $/once au 3ème trimestre, un nouveau record. […]

L’inflation généralisée a augmenté les coûts miniers dans tous les domaines : le carburant, l’énergie, la main-d’œuvre et les consommables ont tous augmenté en glissement annuel, bien que cela ait été légèrement compensé par la faiblesse des devises des pays producteurs par rapport au dollar américain. »

Coût moyen tout compris d’une once d’or (“AISC”) par le secteur minier (T1 2012 – T3 2023)

Source : Conseil mondial de l’or

La carte mondiale des pays producteurs d’or n’étant mise à jour qu’au mois de juin (pour des raisons de délais de transmission des données par les sociétés d’exploitation minière), je partage avec vous les données dont disposait le CMO à fin 2022.

Production minière d’or mondiale (fin 2022)

Source : Conseil mondial de l’or

Top 20 des pays producteurs d’or (tonnes, fin 2022)

Source : Conseil mondial de l’or

Recyclage d’or : toujours 30% en-dessous du pic de 2009

À cette offre primaire vient s’ajouter l’offre secondaire, c’est-à-dire le recyclage de métal jaune qui a augmenté de 9% en 2023, pour s’établir à 1 237 tonnes.

Recyclage annuel mondial d’or (tonnes) et cours de l’or ($) (1995-2023)

Il est à noter que l’on reste 30% en-dessous du pic de 2009… en dépit du fait que le cours de l’or a atteint de nouveaux records dans de multiples devises !

Le CMO voit 2 explications à ce phénomène :

  • « Premièrement, il y a eu très peu de références à des ventes de vieux bijoux dans un contexte de détresse pécuniaire, ce qui contraste fortement avec la situation ayant prévalu pendant la crise financière mondiale [de 2007-2010] et la crise de la zone euro [2009-2012]. Les aides budgétaires considérables accordées aux consommateurs et aux entreprises pendant la pandémie ont permis de protéger l’emploi, tandis que les subventions énergétiques accordées en Europe à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine ont contribué à protéger le public de la flambée des prix de l’énergie.
  • Deuxièmement, nous pensons que l’accumulation de bijoux anciens, cassés ou non désirés par les consommateurs, a été limitée, car cela ne fait qu’une décennie que les cours de l’or ont atteint leur dernier record historique, et une bonne partie de ces stocks d’or a été liquidée lors de la vague de recyclage très élevée qui s’est déroulée entre 2008 et 2012. »

Passons au hedging.

Hedging net des sociétés d’exploitation minière

Pour rappel, le hedging est la pratique qui consiste pour les sociétés d’exploitation minière d’or à couvrir le risque lié à la fluctuation du cours du métal grâce en particulier aux contrats de vente à terme, afin d’atténuer leurs pertes en cas de baisse du cours de l’or.

Le CMO concède que la situation n’est pas encore très claire à ce sujet. Il avance le chiffre de +17 tonnes… mais la réalité pourrait en fait être très différente. Affaire à suivre.

En additionnant la production minière au recyclage et à ce hedging net, on arrive à une offre totale d’or de 4 899 tonnes pour 2023.

Ceci posé, le moment est venu de conclure.

Conclusion

En résumé, « Avec une nouvelle année où les banques centrales ont acheté plus de 1 000 tonnes de métal, la demande totale d’or (y compris de gré à gré) a atteint un niveau record en 2023. Ce niveau record a permis de compenser les importantes sorties de fonds des ETF tout au long de l’année », écrit Juan Carlos Artigas, directeur de la recherche du CMO.

Il faut ajouter à ce constat au moins 5 observations inhabituelles :

  • 641,3 tonnes d’or ont été achetées secrètement par les banques centrales, ce qui représente 61,8% du total de ces 1 037,4 tonnes ;
  • Pour la première fois depuis longtemps, l’appauvrissement de la population allemande se fait ressentir dans ses achats d’or ;
  • En 2023, les épargnants chinois ont fait une entrave à leur réputation d’acheteurs contracycliques en achetant 630 tonnes de bijoux (+10%) et 280 tonnes de pièces et lingots (+28% !). Plus que jamais, les Chinois ont soif d’or !
  • Globalement, le mouvement habituel des reflux de l’or d’Est en Ouest alors que le cours augmente s’est trouvé démenti en 2023 : c’est l’Orient qui a porté le cours de l’or, y compris en portant une partie de sa demande sur les ETF ;
  • En dépit du fait que la demande d’ETF comme la demande de pièces et lingots aient baissé en 2023, on achète de plus en plus d’or physique en coulisses, comme en témoigne l’explosion des ventes de gré à gré.

Voilà pour le décryptage des “Gold Demand Trends Full year and Q4 2023”.

À lundi !  

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

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