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Philippe Béchade
Philippe Béchade

Le rédacteur en chef de La Chronique Agora et chroniqueur économique sur BFM – Philippe Béchade – a accordé une interview à Loretlargent.info. Nous avons voulu connaître sa vision globale de l’économie actuelle, son point de vue sur la situation en Europe et sur l’or, bien sûr.

Philippe Béchade est rédacteur en chef de La Chronique Agora et intervenant quotidien sur BFM depuis mai 1995. Il rédige depuis dix ans des chroniques macroéconomiques quotidiennes ainsi que de nombreux essais financiers et est également correspondant Radio Maroc Atlantique.

Il nous confie être « sorti de l’or » en septembre 2011, au moment où le cours de l’or atteignit des sommets. Contrats or ou 50 pesos en or, Philippe Béchade a tout vendu, persuadé (à raison) que l’or se dirigeait vers une consolidation durable et qu’il allait donc revendre son or de moins en moins cher. Il n’en reste pas moins très optimiste sur l’avenir de l’or.

LORetLARGENT.info : Pourquoi l’or n’est pas une valeur refuge en ce moment ?
Philippe Béchade – Parce que le dollar remplit de façon complètement illusoire. Il y a eu de nouvelles rumeurs de quantitative easing (QE ou émission massive de dollars), mais avec le twist, il n’y a pas de création monétaire pure, la FED ne fait pas marcher à proprement parler la planche à billets. Le dollar a été beaucoup vendu et on ne peut pas se permettre de le dévaluer en augmentant la quantité émise.

La position short (vendeuse) sur le dollar est à risque jusqu’à la fin de l’été au moins, en clair jusqu’à ce que l’on ait recours à la planche à billets. Actuellement, beaucoup de gens sont « short dollar » et longs sur l’or. Il ne faut pas oublier que l’’or est la valeur refuge en cas d’anticipation de création monétaire.

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LORetLARGENT.info : Quelles peuvent être les perspectives économiques en 2013 pour la Chine et l’Inde, traditionnellement de gros consommateurs d’or ?
Philippe Béchade – Si les Etats-Unis sont contaminés par la récession qui frappe l’Union Européenne, la Chine va être en difficulté pour maintenir les nouveaux équilibres du marché du travail qui s’avèrent fragiles. Une croissance à 7,5%, un taux pourtant relativement élevé mais en baisse, ne permet pas de créer plus d’emplois. La récession guette donc également la Chine.
Il faut également prendre en compte l’inflation alimentaire qui est énorme et qui touche près de 70% de la population. La situation devient délicate pour la Chine ; elle qui était très friande d’or se met à en acheter moins car son cours est devenu trop cher. Pour l’Inde aussi, le cours élevé de l’or fait que le pays a beaucoup moins acheté que l’an passé.

LORetLARGENT.info : Quel rôle joue la FED dans la crise ?
Philippe Béchade – Chaque semaine, il y a de nouveaux épisodes sur l’euro qui s’enfonce. Il y a une semaine, l’euro baissait et le cours de l’or suivait la même trajectoire, ce qui confirme un mouvement en faveur du dollar, déclenché par la FED qui a décidé que ce n’était pas le bon moment pour déclencher un QE. La FED adopte traditionnellement une position neutre avant chaque élection, et s’attache à ne favoriser ostensiblement aucun parti.
Par contre, si la FED agit de façon complètement indépendante et ne veut pas donner l’impression de donner un coup de pouce aux politiques, elle fait tout pour aller dans le sens de Wall Street (c’est dans son intérêt) et s’emploie à utiliser un champ sémantique bien choisi, dans le registre de la parfaite langue codée, jusqu’à la virgule, également à l’adverbe près.

Par exemple, « un ralentissement très perceptible » ça pouvait indiquer le risque penche du côté de la récession, ou « risque inflationniste très modéré » laisse de la place pour baisser les taux.
Par exemple, en disant « La politique monétaire ne va pas bouger », ou alors « Nous observons un ralentissement de la croissance »… Ce type de déclaration qui paraît très édulcorée a pourtant de l’impact, et a par exemple plus d’effet sur les prix que sur la consommation. La FED publie des communiqués qui rassurent Wall Street, mais sans prendre de décision ni agir concrètement.
La FED ne peut pas se permettre de dire que ça va mal sinon ça ferait chuter Wall Street. Du moins elle ne le fait plus depuis 1986 où ses aveux avaient déclenché une hausse spectaculaire des taux.

LORetLARGENT.info : Pourquoi la BCE n’a-t-elle pas le même impact que la FED dans la zone euro ?
Philippe Béchade – Les Etats-Unis sont réactifs à la magie du verbe de la FED, alors qu’au sein de la zone euro, la BCE revêt beaucoup moins d’importance, car elle n’a pas de leadership politique, pas d’identité politique forte. La FED reste très influente même si elle n’a plus aucun contrôle sur les déficits, la croissance, le dollar…

LORetLARGENT.info : En bourse, quels sont les secteurs qui marchent bien ?
Philippe Béchade – Pour placer son argent en bourse, on mise sur des multinationales, pas sur des pays ! Comme l’or qui est une matière qui est un outil de placement qui n’appartient à aucun pays.
Les thématiques du luxe (Richemont, PPR, Tiffany…) ont été surjouées depuis le début de la crise et le secteur tout entier se porte bien, même s’il est surgonflé et que les investisseurs spéculent à fond sur ces valeurs.
Le secteur du contrôle et de la certification, les services hôteliers et de la restauration font aussi partie des valeurs qui marchent bien. Apple aussi mais sur un produit (comme l’iPhone ou la tablette tactile). Tout ne va pas si mal que ça !

LORetLARGENT.info : A quoi peut-on s’attendre du côté de la zone euro ?
Philippe Béchade – La zone euro est tirée vers le bas par l’Espagne qui va décidément de plus en plus mal (avec un Espagnol sur 4 au chômage), l’Italie, la Grèce qui revient sur le tapis, et même la France, avec un taux de chômage en hausse pour le 14e mois consécutif (le plan social de PSA/Peugeot ne va rien arranger). La preuve, Moody’s a placé la note allemande sous surveillance négative (après avoir dégradé celle de 17 banques). Bref, dans la zone euro, si on continue de répondre à la demande en prêtant aux pays endettés, nous allons droit dans le mur.

LORetLARGENT.info : D’où vient le problème de l’Union européenne ?
Philippe Béchade – Les approches économiques sont radicalement différentes au nord et au sud de l’Europe. L’Allemagne vit encore dans la hantise de l’hyperflation des années 30. L’Angleterre considère encore comme valide le modèle ultralibéral des années Thatcher et Reagan, une catastrophe quand on voit ce que cela a donné au Chili et en Argentine.

Le problème de la zone euro est que l’on vit dans le dogme économique selon lequel la croissance est régie par une mécanique newtonienne de cause à effet. Or, l’économie n’est pas une science exacte, ce n’est même pas une science du tout. Le modèle de l’économie reflète plutôt le système du chaos. La mécanique quantique est la plus pertinente pour décrire et expliquer le comportement de l’économie au quotidien.

On ne peut pas obtenir le même résultat avec un même processus appliqué à l’Italie ou au Danemark… La politique économique de la zone euro demande la gestion de plusieurs cas particuliers. Soit on admet la diversité des pays et on est solidaire systématiquement, jusqu’à ce que les pays soient au même niveau, et cela prendra du temps, soit on va droit dans le mur.

Le problème remonte aux années 80, avec la politique monétaire allemande menée lors de la réunification de l’Allemagne de l’ouest et l’Allemagne de l’est. Cette politique monétaire intégralement tournée vers la maitrise de l’inflation n’était pas du tout adaptée aux autres pays, des taux exagérément élevés ont étouffé la croissance. Cette forme de solidarité nous a déjà coûté très cher.

L’euro fort a étouffé et continue d’étouffer l’Europe du sud. On ne peut pas tirer tous les pays vers le haut par un copier/coller du modèle allemand en créant par exemple en Espagne la même industrie qu’en Allemagne avec BMW.

Il y a encore quelques années, l’Espagne était encensée pour sa croissance, alors qu’elle était complètement artificielle et qu’elle reposait sur une bulle immobilière qui a aujourd’hui explosé. Pour autant il ne s’agit pas de la même bulle immobilière qu’aux Etats-Unis ou en Angleterre, la bulle espagnole est une bulle sans la malhonnête du système bancaire. Aujourd’hui, les taux sont devenus insupportables en Espagne (+7,5%).

LORetLARGENT.info : Existe-t-il un réel risque de bankrun cet été ?
Philippe Béchade – En Grèce c’est déjà le cas. En Espagne, on en est déjà à 300 milliards d’euros depuis le début de l’année. S’il y a un bankrun au sein de la zone euro, c’est l’effondrement généralisé du système économique mondial tout entier, toutes les banques vont au tapis, de la City à Wallstreet.

LORetLARGENT.info : Quel est selon-vous l’issue la plus favorable à la crise européenne ?
Philippe Béchade – Le meilleur scénario à mon avis est un scénario à la japonaise, avec de la création de monnaie de façon irréversible.
Se « désendetter à l’allemande » n’a aucun sens ; cette voie-là préfigure des émeutes dont la Grèce a déjà donné l’exemple. On court à la récession sans porte de sortie, les peuples dont certains subissent déjà plusieurs années de rigueur ne le supporteront pas.
Entre deux maux, l’austérité à l’allemande (il faut voir ce que ça a donné en Lettonie) avec aucune perspective de sortie de crise, et le Japon, avec des injections de liquidités « no limit », on va sans doute choisir le modèle du Japon, avec un QE permanent, il suffit juste que le verrou allemand saute. On pourra acheter moins de choses (sauf avec de l’or !), et il y aura une paupérisation importante des classes moyennes et surtout des plus défavorisées.

LORetLARGENT.info : Que peut-on conseiller aux épargnants ?
Philippe Béchade – De préserver de la valeur, avec des métaux précieux, de l’or, du platine, c’est pour cette raison que je reste très optimiste par rapport à l’or.
En tout cas, n’investissez ni dans des bunds, ni des titres américains qui contiennent beaucoup trop de risques non rémunérés. Il y a une gigantesque bulle sur les deux. Moi je suis « 100% liquide », si j’ai du cash, je ne vais pas subir de moins-values. Personnellement, j’évite de me positionner sur l’or tant que le dollar est ferme et qu’il n’y a pas de QE à l’horizon.
L’or souffre par remontée mécanique du dollar. Dès que les Etats-Unis vont se décider à ressortir la planche à billets, il faut revenir sur l’or et ne plus en bouger pendant 15 ou 20 ans.

LORetLARGENT.info : Pensez-vous qu’un retour de l’or dans le système monétaire soit envisageable ?
Philippe Béchade – Oui, mais pas sous la forme de l’étalon or tel qu’il a été appliqué en Angleterre lors de la 2e moitié du 19e siècle (le Royaume-Uni était obligé de gager une quantité d’or équivalente à la masse de monnaie créée).
Ce système relevait lui aussi de la mécanique newtonienne alors que l’étalon or tel qu’il était appliqué n’avait pas la même élasticité que la croissance.

 

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Jean-François Faure
Jean-François Faure. Président d’AuCOFFRE.com. Voir la biographie.

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